Pologne (2) : Pâques 89, un avant-goût de liberté

A Pâques 1989, je suis retournée en Pologne. Par le biais du Centre Pastoral Halles-Beaubourg cette fois, soit de l’église Saint Merry en plein cœur de Paris. Et pas seule mais accompagnée de ma chère amie Sophie, saint-merrienne de la première heure toujours si positive et rayonnante. Et de Marc, qui, lui, venait de ma paroisse du XVIème.

C’est intéressant d’ailleurs, car ce n’était pas la première fois que le « CPHB », dit « rouge » ( !) par certains milieux catholiques parisiens, juste parce qu’il pratiquait la cogestion et était très engagé dans les droits de l’homme en Amérique Latine, Europe de l’Est, mais aussi auprès de la communauté homosexuelle du Marais, fricotait avec « L’Assomption » de Passy, son antithèse en quelque sorte. Au contraire. Les ponts avaient été établis depuis longtemps, par le biais de mon ami Pierre, responsable de l’Accueil musical, puis de Perrine et Pascal etc… Comme quoi.

Aussi, quand au début 1989 il avait été question d’organiser un convoi de transport de médicaments et autres en direction de la Pologne, avec Sophie, nous avions cherché un homme de bonne volonté, capable d’assurer et tout de suite pensé à Marc, le chic type d’entre les chics types. Le cœur sur la main, et ses mains d’autodidacte sachant tout faire ou presque… Très rapidement, effectivement, il allait s’avérer l’homme de la situation…

Nous voilâmes donc partis.

A l’époque, la Pologne était en pleine ébullition, et comme toujours depuis le début des années 1980, montrait le chemin aux pays de l’Est, encore opprimés par la chape de plomb du communisme. En février de 1989 en effet, le général Jaruzelski, sous la pression de la rue et de Solidarnosc, avait entamé des négociations avec le syndicat de Walesa, pour essayer d’apaiser la situation. Incroyable. Il aurait pu tout aussi bien laisser faire les chars russes, mais peut-être avait-il compris que l’on n’était plus en 1968 et que le coup de Prague c’était du passé.

Je ne sais pas mais toujours est-il que quand nous sommes partis, les Polonais étaient toujours en train de discuter autour d’une « Table ronde » dont l’objet était, entre autres, l’instauration d’élections semi-libres et d’un parlement plus démocratique. Le PC polonais daignant accorder 35% de la représentation nationale à des non communistes : une vraie révolution.

Un vent de liberté soufflait donc et si le passage des frontières n’était toujours pas plus insouciant, il était quand même moins flippant que cinq ans auparavant.

La Pologne elle, tout comme l’Allemagne de l’Est, suait la pauvreté. J’ai par exemple toujours le souvenir très net, de cette odeur pénétrante de charbon qui imprégnait les alentours des sites industriels et des villes que nous traversions. Le souvenir de Cracovie, cette perle du sud, dont les murs étaient littéralement noirs de suie et dans les rues de laquelle, il n’était pas rare, encore, de voir passer un cheval tirant sa carriole de combustible destiné au chauffage des habitants.

Le souvenir aussi des routes départementales pavées.

N’est-ce pas Sophie ? Je crois qu’à l’époque, elle n’avait pas encore le permis, et si moi j’en étais détentrice (ah, ah, ah !), je n’avais strictement aucune pratique et n’étais pas franchement décontractée même si je ne voulais rien laisser paraître. Toujours est-il, qu’alors que c’était mon tour, – Marc légèrement crispé à mes côtés – sur une de ses fameuses routes départementales pavées, tout à coup, dans une bonne descente, quand j’ai voulu ralentir, rien ne s’est produit. Mais rien hein. J’avais beau appuyer sur le frein, notre camionnette, lourdement chargée, devenait au contraire de plus en plus alerte, prenant de plus en plus de vitesse, et tout le monde s’est mis à crier !!!!! Freine ! Débraye ! Fais quelque chose ! Et là, moi complètement dépassée, naturellement, Marc… a repris les choses en main et réussi à nous arrêter!

De fait, les freins avaient lâché (quelle chance pour moi ou plutôt quitte pour la peur pour tous !) et s’il n’avait pas été là, nous n’aurions pas pu continuer, perdus que nous étions, en pleine campagne polonaise ou d’Allemagne de l’Est, ce qui revenait à peu près au même à l’époque en termes de pièces détachées.

A partir de là, Marc, bien sûr (!) sera notre seul conducteur : pour nous emmener d’abord à Mielec, une ville du sud-est de Cracovie, aux tristes HLM si typiques de l’Est et où la communauté à qui était destinée une partie de notre cargaison, était en train, à coup de dons et d’échafaudages en bois, de construire une église comme toujours démesurée. Puis dans une autre paroisse de Varsovie où là, nous retrouverons le correspondant de St Merry, qui parlait un admirable français, voire quelque peu châtié comme au XVIIIème siècle, à la manière de Custine et de son « Voyage en Russie » qu’il aimait à citer.

Mais aussi mon amie Ania dont le sourire aujourd’hui, tout comme celui de Sophie, illumine le visage et n’a pas changé.

A Varsovie, par l’intermédiaire de cet homme dont j’ai oublié le nom, à moins que cela soit par celui de Ania ou de son père, nous avons même eu la chance, absolument incroyable, de participer à une des conférences de presse de Solidarnosc, certainement pour annoncer la fin de la Table ronde et les ouvertures politiques à venir.

Je crois que l’on ne se rendait pas compte de ce que nous étions en train de vivre. Personne certainement. Car même si ce n’était qu’une conférence de presse, rien que d’y participer, pour un Polonais, restait très dangereux. Alors la suite ?

C’était Pâques cependant et tout à coup il s’est enfin arrêté de pleuvoir.

Sur le chemin de retour, le cœur léger et les freins réparés, nous écoutions ou chantions à tue-tête dans notre camionnette « Être né quelque part » de Maxime Le Forestier qui était le grand tube de l’année.

Il faisait beau et on s’est arrêté en plein champ, pour pique-niquer ou jouer au badminton.

Même le mur de Berlin, par laquelle nous sommes rentrés, paraissait légèrement plus gai.

Trois mois plus tard, les élections polonaises sonnaient définitivement le début du glas de Jaruselski.

En juin, la Pologne avait le premier gouvernement non communiste de tous les pays de l’Est depuis 1945, déclenchant une vague d’immigration en provenance de RDA.

En octobre, le mur de Berlin tombait.

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1984 : pélerinage Varsovie – Czestochowa en Pologne

En 1984, après avoir passé le bac avec d’étonnants bons résultats (pas ceux du contrôle continu j’entends!), j’ai été prise dans la foulée en classe prépa. Cela m’arrangeait beaucoup car me permettait de repousser d’un an ou deux l’épineuse question de mon orientation professionnelle, tout en continuant à étudier la littérature et l’histoire. Parfait! Du coup, j’avais aussi devant moi de longues vacances d’été insouciantes à passer et, ayant gagné un peu d’argent, du haut de ma majorité et de mes succès, je déclarai à la maison que je partais en Pologne. Pas seule bien sûr, mais avec un groupe de la paroisse d’à côté, même si je n’y connaissais personne sauf une autre Valérie. Et pour faire officiellement, le pélerinage de Varsovie à Czestochowa. Ce qui était vrai d’ailleurs, mais à l’époque, un peu risqué on va dire.

Si avec la guerre actuelle contre l’Ukraine, tout à coup, l’impérialisme russe s’est en effet rappelé à notre souvenir, nous montrant combien la paix que nous vivons depuis 1945 en occident est fragile, à l’époque, nous étions parfaitement conscient de cette fragilité. La Pologne, ou disons plutôt le peuple polonais, narguant alors depuis des années le pouvoir communiste en place.

Il y avait eu les grèves des chantiers navals de la Baltique, suivies de la création de Solidarnosc et des accord de Gdansk en 1980. La déclaration de l’Etat de guerre par le général et président Jaruselski, suivie de l’arrestation de Walesa un an plus tard (et de près de 10 000 autres personnes), puis sa libération… Surtout, l’année d’avant, en 1983 donc, ce dernier avait reçu le Prix Nobel de la paix et le Pape Jean-Paul II, avait fait un de ses quatre voyages dans sa terre natale, plaidant toujours et encore, pour « l’autodermination » des individus, la démocratie contre l’autoritarisme. Appelant à ne pas avoir peur.

L’opposition au communisme montait donc en puissance, la Pologne montrait le chemin, et curieuse de voir derrière le rideau de fer, je voulais aussi aller à l’encontre des Polonais et leur marquer une certaine solidarité en faisant la seule chose que je savais faire depuis que j’étais gamine : marcher.

Ce fut effrayant. Du moins le début.

Aujourd’hui, tous les enfants de mes amis (et les miens) sont nés largement après 1989, et donc il est difficile, voire impossible pour eux, d’imaginer ce que c’était que de passer derrière le rideau de fer. Et encore moins d’y vivre. Peut-être étions nous « boosté » à la peur, mais non, c’était définitivement terrifiant.

A la frontière de la RDA, il fallait attendre des heures dans un environnement de barbelés et les Vopos (pour Volkspolizei) aux visages fermés, contrôlaient bien sûr avec minutie tous les passeports.

Rebelotte à la frontière polonaise, voire d’autant plus, puisqu’il était clair que notre car de « pélerins » ne venait pas pour prendre le thé avec Mr Jaruselski.

Arrivés à Varsovie, nous avons tous été dispatchés pour quelques nuits dans des familles d’accueil, et c’est là que j’ai fait la connaissance de mon amie Ania. Amie pour la vie.

Ania, déjà, avait ce large sourire aux lèvres qui jamais ne la quitte et éclaire tout son visage d’une joie sincère. Surtout, elle parlait déjà un admirable français, ce qui était plus que précieux dans le contexte, puisqu’elle nous accompagnait partout, ayant la gentilesse de tout nous montrer et nous expliquer. Avec elle, et un petit groupe qui s’est peu à peu constitué, nous avons au début visité Varsovie et ses alentours. Je crois même me souvenir que sommes allées à la maison de Chopin, à 45 kms à l’ouest de la capitale.

Celle-ci, entièrement reconstruite après la seconde guerre mondiale (cf dernier article de la série), était déjà très belle en son centre et l’est encore plus aujourd’hui. Ah la voie royale et ses bâtisses du XVIIIème siècle qui, parallèlement à la Vistule, mènent au coeur de Varsovie! Ah, la vieille ville justement, sa place du vieux marché, ses fortifications et son Palais royal.

En 1984 cependant, celui-ci n’était pas fini d’être rénové et abritait entre autres, les forces anti-émeutes du gouvernement. Or, ses acolytes, les fameux Zomos, quadrillaient la ville, et, nous avons dû apprendre à nous faire discrets. A maîtriser nos faits et gestes, à être avares de paroles. Etre avec un étranger, pour Ania, n’étant alors pas anodin.

Une peur certaine régnait.

Elle disparut cependant, quand nous entamèrent le pélerinage donc.

Près de 250 kilomètres séparent Varsovie de Czestochowa en Silésie, site que depuis le moyen âge, les Polonais considèrent comme leur capitale spirituelle. En son centre en effet, un monastère et surtout Jasna Gora, la Madone noire, à qui, dit-on, on doit d’avoir repoussé à maintes reprises des attaques d’étrangers, impies qui plus est (protestants), et comme en témoignent les balafres sur sa joue.

Quand je la revois aujourd’hui, je la trouve un peu triste, mais belle et sereine. Inspirant la paix.

Depuis plus de quatre siècles, la Pologne lui est consacrée et régulièrement re-consacrée, et chaque année pas moins de 4 à 5 millions de pélerins, venus de 80 pays, s’y rendent pour demander son intercession.

Coeur religieux, elle a donc aussi été longtemps le coeur de la liberté politique des Polonais. C’est ainsi là, que s’engagea Karol Wojtyla dès 1936 à oeuvrer pour une Pologne nouvelle. C’est là aussi, qu’il s’était rendu bien sûr l’année d’avant, son blason étant depuis qu’il avait été évêque de Cracovie « Totus tuus ».

Le chemin pour y aller en une semaine et y arriver le 15 août, était donc non seulement spirituel, mais hautement politique. Un acte de résistance et d’espoir. Et sur la route, ce n’était pas mille mais jusqu’à 40.000 personnes qui s’y retrouvèrent !

C’est d’ailleurs, la première chose qui me vient à l’idée quand j’y repense. Cette foule. Immense. Gigantesque. Tous ces gens, la plupart polonais, souriants, confiants et patients. Car le problème dans ce contexte, n’était pas tant de faire 20 à 30 kilomètres par jour, mais d’abord de démarrer en absolu. Et d’arriver à notre prochaine halte!

Généralement, après avoir dormi – mal – dans nos tentes, nous nous levions vers les 4 heures du matin. Après ce qui s’appelait un petit déjeuner (!), on se recueillait et chantait. Priait, méditait. Et puis commençait l’attente. L’attente de pouvoir partir puisque la première colonne devait se trouver à des kilomètres devant nous, et qu’avant qu’elle fasse ses premiers pas, on ne pouvait rien faire d’autre que de patienter. Attendre que cela soit notre tour de nous ébranler.

De fait, la journée était ponctuée trés souvent de ces « stop & go », et je crois que c’est surtout cela qui était fatiguant. Car quand nous arrivions le soir, nous étions claqués et il fallait encore monter les tentes, faire un peu à dîner etc…

Durant cette marche, ce ne sont donc pas non plus les occasions de discussions qui ont manqué. On avait le temps pour ainsi dire! Notre petit groupe, depuis Varsovie, ne s’était pas dissous, mais au contraire plutôt resserré, et c’est là que j’ai fait la connaissance d’Emmanuel, qui quelques années plus tard deviendra mon beau frère. De Marie-Pierre aussi que j’ai retrouvée l’année dernière et qui est toujours en contact avec Pierre de la photo jointe, tout devant. Et d’Ania donc, dont nous aurons encore l’occasion de parler.

Moi qui aime la campagne, j’ai aussi beaucoup aimé celle que nous avons traversée. Qu’il s’agisse de grands champs, de leurs meules de paille ou de foin. De sous-bois ou de landes telles qu’on en trouve dans cette europe centrale et continentale, où, en août, le soleil s’abat sur vous plus qu’au bord de la méditérranée.

J’ai aussi aimé saluer les habitants qui tout au long du chemin nous encourageaient. Nous distribuaient des fruits, de la « compote » ou nous désaltéraient pour nous encourager.

Une fois, un mariage a été célébré au sein même de notre colonne et tout le monde y fut invité. C’était bon et bien.

Et puis un jour, nous avons fini par arriver. Harassés, mais heureux et libérés.

Encore une fois, aujourd’hui, tout cela peut paraître dérisoire. Quoi que. Mieux que nous les Polonais savent le prix à payer pour la liberté.

A Czestochowa, nous fûmes pendant quelques heures tous rassemblés. C’était la mer. Beaucoup d’émotions. De ferveur et de communion.

Le 19 octobre de la même année, soit deux mois plus tard, le prêtre Jerzy Popieluzsko, aumonier de Solidarnosc, était assassiné.

Les années aumônerie : Véronique, Jean-Louis, Jean-François, Marc, Pierre, Géraldine et les autres…

Le mois dernier, alors que je repensais aux années lycées donc, si lointaines et si proches en même temps, tant elles ont façonné ce en quoi j’ai cru pendant des années avant que mon monde ne s’écroule comme un château de cartes, une mélodie m’est revenue en tête. Et depuis, ne cesse de se rappeler à mon souvenir. Celle d’une chanson de l’époque bien sûr, soit de Marie Laforêt et qui commençait gentiment sur un air enjoué : « Lorsque nous étions encore enfants, sur le chemin de bruyère, tout le long de la rivière, on cueillait la mirabelle, sous le nez des tourterelles » et surtout son refrain « Anton, Ivan, Boris et moi
Rebecca, Paula, Johanna et moi »
… Car de fait, ces années Lycée, furent surtout celles de l’aumônerie, là où était la vie et mes amis.

Comme déjà dit, on venait de déménager et naturellement je ne connaissais personne dans notre nouveau quartier, exceptée Véronique, ma camarade d’infortune de la rentrée. Nous avions tout de suite sympathisé, et quand il s’avéra que nous voulions aussi toutes les deux continuer le « cathé », on ne se quitta plus et… on ne quitta plus non plus l’aumônerie qui devint, avec plus tard le groupe jeune de la paroisse d’à côté, notre lieu de vie exclusif !

Quand j’y repense, c’est tout bonnement incroyable ce que nous avons vécu là-bas, et ce notamment grâce à des adultes merveilleux d’engagement, de générosité et de bonté. Car, quand on a douze ans, d’abord, il faut des adultes pour vous encadrer et donner le « goût » à. Et là je pense naturellement et en premier lieu, à Millette, la mère d’une de mes toujours amies Géraldine, une autre dame qui était permanente et dont j’ai malheureusement oublié le nom ainsi qu’à Jean-Louis de Fombelle, notre aumônier et responsable de la pastorale des jeunes du quartier. Mais, je pense aussi aux garçons plus « agés » (de trois ans ouah ! JF, Marc, Pierre, les « Christophe » et puis Bruno), qui, déjà, formaient un groupe très soudé, parfois étaient nos « moniteurs », et surtout ne cessaient d’intriguer les gamines que nous étions !

Très vite, avec « Véro » on a été de toutes les parties. Mais de toutes hein ! Après-midi du mercredi, prières du jeudi matin à 7 heures, WE dans des monastères, à Taizé, camps d’automne en Normandie, et d’hiver dans les Alpes, quand ils n’étaient pas annulés au dernier moment sans raisons par ma mère et où je rencontrerais mon ami Matthieu, devenu chanteur lyrique avec qui je suis toujours en contact, etc… Rien que de très bien sage dans un premier temps, car nous étions toutes les deux sages effectivement, bien élevées, voire trop bien élevées et de ce fait timides et peu libérées, voire complexées. Elle, je ne sais pas en fait, elle souffrait d’être enfant unique et d’avoir une mère qu’elle trouvait trop âgée, mais moi, c’est clair, vu ce qui se passait à la maison, je la fermais.

Nous avons eu des phases très mystiques en tous les cas, allant jusqu’à nous mortifier à coup de jeûne pendant plusieurs carêmes d’affilés. Et ce, jusqu’à un certain « Frat », pour « fraternel », qui, à Pâques 1981 rassembla des milliers de jeunes à Lourdes. je crois, que, même si depuis quelques années je ne « pratique plus » l’Evangile, je connais les quatre dans tous leurs coins et recoins.

J’avais fait une grosse dépression l’hiver de cette année-là, ne parvenais pas à me sortir de ma mélancholie et mes idées noires. J’étais effondrée par mon attitude, peu aidante pour se faire des amis. Je ne me sentais pas intégrée, pas drôle, pas rien, pas tout ! Comme une petite ado, attifée d’un appareil dentaire qui plus est, peut se sentir à cet âge !  Au retour du Frat, j’attrapai une grosse grippe, et dans mes délires enfiévrés, je pris des résolutions ! Celles de ne jamais me plaindre (même si je ne le faisais qu’en mon for intérieur), de ne jamais parler de moi (ce que je ne faisais pas non plus quoi qu’il en soit), de taire toute émotion négative et de toujours sourire, écouter et essayer d’aider quand je le pouvais ! D’appliquer la règle d’or des Evangiles qui dit dans le texte de « faire aux autres ce que l’on aimerait qu’ils fassent pour vous ». Bien m’en a pris pendant des années et des années – jusqu’à tomber sur des personnes mal éduquées ou intentionnées qui me dirent que j’étais « naïve » mais en ont bien profité! -, notamment celles qui suivirent directement.

Car elles furent belles effectivement !

Les « Gospels » en tournée

Nous étions de grand.e.s « ados » maintenant. Avec Véro, et d’autres rares amies du Lycée – Géraldine, Dorothée – qui allaient encore à l’aumônerie, c’est surtout alors à travers le groupe jeunes de la paroisse de l’Assomption que le deuxième élan fut pris. Grâce à Jean-Louis, notre prêtre qui chapeautait les deux donc, et de François Xavier, un homme seul d’une cinquantaine d’année qui, sans jamais parler de son passé (il avait « divorcé », mais à l’époque et dans ce milieu, cela ne se disait pas) le secondait. Très efficacement. Quel binôme ils formaient ! Avec d’un côté FX, pragmatique et fonceur. De l’autre Jean-Louis, qui passait pour un doux rêveur. Mais ne l’était pas. Toujours est-il, que les 4 ou 5 années qui suivirent, ils surent à eux deux, nous entraîner dans la formidable aventure des « Gospels », des spectacles que nous montions chaque année différemment, et qui pour la semaine sainte, racontaient la vie et la passion du Christ. Que de talents n’ont-ils pas révélé ! Tout était écrit et fait « maison ». Les textes, les dialogues et récitatifs, les chansons, les décors, la mise en scène etc… Et tout le monde s’y mettait, aidé que l’on était en plus, par un metteur en scène averti (du groupe théâtre de la paroisse, qui recrutait également dans notre groupe « jeune »), et dont beaucoup de petits enfants sont aujourd’hui artistes eux-mêmes.

L’été, nous partions en tournée. Qui de la Bretagne, puis de la Vendée où je me rappellerais toujours le coucher du soleil sur l’église romane de Talmont, seule, près de l’Océan.

Il faut se l’imaginer ! Une troupe de vingt jeunes, faisant de la pub sur les marchés, guitare en bandoulière, pour appeler le public à les suivre dans des spectacles religieux !

Et ça marchait ! Pour les adultes « encadrant », quand j’y repense, que de foi, de conviction et d’altruisme, il fallait ! Sans compter, une bonne dose de sang-froid, car ce ne sont pas les histoires d’amour qui s’y faisaient et s’y défaisaient qui ne manquaient !

Nous étions portés et portions aussi visiblement. En tous les cas, sur les photos, tout le monde rit !

J’aimais beaucoup Jean-Louis et l’aime toujours beaucoup, me réjouissant chaque fois que j’apprends qu’il est encore en vie, même si, depuis la pandémie, je n’ai pas trouvé ou pris le temps d’aller le voir à Paris, où, bien qu’il soit à la retraite, il est naturellement toujours actif, infatigable messager de cette Bonne Nouvelle qui le prit un jour de sa jeunesse, alors que fiancé, il était Stewart sur un paquebot nommé…France.

Jean-Louis

Rêveur ? Oui, peut-être. Je dirais plutôt contemplatif. Car JL, très ouvert, à l’écoute, toujours bienveillant et profondément aimant, avait, sous ses airs tête en l’air (que l’on aimait bien taquiner), le don d’entraîner et de faire confiance, de déléguer, tout en restant lui-même, sachant se retirer pour s’isoler, méditer et toujours nous ramener, par des mots simples, sans fioritures et envolées dogmatiques, au message essentiel des Evangiles, qui n’est fondé que sur l’amour. Et oui, je crois, sur la responsabilité que nous avons dans ce message d’amour. Je me suis bien plantée depuis 2014.

Il pratiquait le Yoga. Le lever du soleil. Aujourd’hui, tout cela est banalisé, mais à l’époque, cela ne l’était pas et paraissait un peu incongru. Surtout pour un prêtre catholique. Il était trés sensible, et sujet parfois à des phases dépressives que je ne connais que trop bien. L’année dernière, dans un de ses messages, il m’a écrit cette phrase que j’ai retenue et que je fais mienne aussi quand je marche sur le chemin de Saint Jacques ou les chemins : « Rien de plus utile pour le monde, qu’un homme qui se tient en silence devant Dieu ».

Après « nous » si je puis dire, JL a été muté à la Sorbonne. Puis aux Batignolles. Puis…. Toujours, il a su reconstruire autour de lui, des équipes de jeunes (et moins jeunes), enthousiastes et engagées. C’était un vrai don. Mais dans la douceur. Comme quoi, il n’y a pas besoin de jouer les hussards pour fédérer.

Quelques années plus tard, alors que j’avais fini mes études et travaillais déjà, je me suis immiscée dans un de ses groupes pour un pélerinage de 15 jours en Israël. Cela fut une grande expérience. Celle du désert. De la terre ocre et qui brûle aux confins du Sinaï. Du Neguev et du chemin de Jéricho. Du lac de Genesareth et de Capharnaum. De Jérusalem, de la mosquée El Aqsa, du mur des lamentations et de l’Eglise de la résurrection. Et je n’ai qu’une hâte : y retourner.

Plus tard encore, c’est lui qui nous maria avec CK. Mais c’est une autre histoire, dont je ne veux pas parler.

Mais revenons à nos Gospels donc, et le formidable élan qu’elles ont engendré !  

Parmi les amours qui s’y nouèrent, beaucoup furent durables d’ailleurs, et si, aujourd’hui, j’ai perdu de vue la plupart de ses camarades d’alors (Véro non), beaucoup se sont mariés et partent, toujours, chaque année une fois en vacances tous ensemble. Quelle troupe ! Si l’on ajoute les enfants et petits-enfants depuis, à raison d’au minimum 3 par couple et jusqu’à huit, cela fait monter rapidement vers la cinquantaine si ce n’est plus !

Certes, il y avait à l’époque une grande homogénéité sociale, de type haute bourgeoisie parisienne du XVIème et donc l’endogamie a battu son plein. Mais pour autant, si moi j’avais des problèmes avec cela (à cause de mes origines sociales donc et du milieu familial), jamais, au grand jamais, on ne m’a fait sentir quoi que ce soit, ni exclue en rien. Au contraire ! Combien de fois ai-je été invitée ici et là, même si parfois je devais dire « pas possible » sans pouvoir m’expliquer ? Et je ne suis pas la seule à avoir été dans ce cas !

Tous les samedis soir, nous les passions en tous les cas au bowling, ou à danser, dans je ne sais quel grand appartement de je ne sais qui, que les parents, discrets, avaient désertés. Les vacances, en dehors de nos Gospels itinérantes, c’étaient chez les uns et les autres ! Plus tard, un « pont » sera construit entre ce groupe et l’Eglise Saint Merry, où, à compter de mes dix-huit ans et par l’intermédiaire de Pierre, je trainerais aussi mes guêtres pendant 10 ans. La belle vie quoi !

Depuis, je suis toujours en contact, rarement certes mais sûrement, avec Véro, ma très chère amie, Géraldine, Jean-François etc… qui, tous, ont gardé les valeurs et la foi de cette époque, qui nous ont formé pour la vie.

La semaine dernière, Marc, un « transclasse » comme moi, dont je reparlerai bientôt, m’a écrit quelques lignes qui sonnent si justes et parlé de la « bienveillance qui caractérise cette communauté ». Que tout ce que « nous avons vécu alors n’aurait pas de sens » dans un monde où la « vacuité morale » est parfois si affligeante, si on ne continuait pas à le faire vivre encore.

Et il a bien raison.

Merci.

Ps : prochain numéro : la Pologne, d’hier et d’aujourd’hui

Lycée Molière: Mr Clément, Mmes Khalifa et Dollon

Tout un chacun dans sa vie a le souvenir d’instituteur.rices et/ou des professeur.es du second degré qui les ont marqués, voire ont eu une influence majeure dans leurs choix et trajectoire ultérieurs. Pas plus que quiconque, je n’y ai donc échappé. Et ici, de mes années Molière, ce Lycée tranquille du XVIème arrondissement où comme déjà dit, j’ai fait toute ma carrière du secondaire, je voudrais en citer trois : deux profs de Français, et une de Sciences naturelles. Bien, sûr, je garde aussi en mémoire un certain prof d’histoire, Mr Tissault, qui toujours tiré à quatre épingles, menu et droit comme un i, tentait, d’un ton doux, les lèvres légèrement pincées de nous intéresser à sa matière, passion. Las, comme déjà dit, nous étions très indisciplinés et comme il manquait totalement d’autorité il ne donnait cours qu’à deux ou trois oreilles attentives, dont parfois les miennes, ce qui devait être plus que décourageant.

Non, je pense plus particulièrement d’abord à Mr Clément, notre prof de Français de seconde.

Sur Mr Clément à l’époque, couraient les plus folles rumeurs. Cela ne faisait pas longtemps qu’il faisait partie du corps enseignant du Lycée et rien que son allure dissonait. La cinquantaine bien tassée, de bonne constitution pour ne pas dire de forte corpulence, il ne portait pas cravate, comme tous ses collègues masculins, mais, quelle que soit la saison, débarquait dans notre classe toujours débraillé comme on disait : à peine coiffé, barbe de cinq jours non taillée à la Proust sur son lit de mort, chemise ouverte sous son invariable ensemble veste et pantalon en velours côtelé, son cartable en cuir éculé et toujours bourré à craquer.

« Il avait été prof de fac… »; « Il avait eu un problème et dû se faire virer! », « c’était un communiste, un rouge! »… Qu’avons-nous pas entendu le concernant, dans ce Lycée gentillet du seizième arrondissement ! Peut-être d’autres mots encore, que nos oreilles prudes ne devaient cependant pas intercepter ? Moi, je n’y comprenais rien quoi qu’il en soit, n’était encore absolument pas politisée (l’année précédente, Mitterrand avait été élu Président de la République, et dans ce quartier, d’aucun avait craint l’arrivée de chars russes !!!!), et m’en moquait complètement. Sauf que : effectivement, Mr Clément ne donnait pas cours à des jeunes tous juste sortis du collège, mais plutôt à des étudiants d’université ou de classes préparatoires.

Question méthode, nous n’avons donc strictement rien appris. Ou peut-être un peu s’agissant de la technique du résumé, qui me donnait tant de peine. Mais pour le reste – commentaire, dissertation – rien, c’était à nous de nous débrouiller (aux parents ?). Et je me souviens encore aujourd’hui du premier sujet de devoir maison qu’il nous donna alors : « En quoi peut-on comparer les héros de Don Quichotte, L’Odyssée et Lorrenzacio ? » ou quelque chose dans le genre. Rien que de lire les œuvres, cela me prit toutes mes vacances d’automne… sans grand résultat, et aujourd’hui encore je me demande où il voulait en venir.

Pour autant, d’une érudition incroyable, il était passionnant et fascinant, et deux années plus tard, après avoir été « formée » par une vraie prof de Lycée cette fois, c’est juste pour le plaisir que je le retrouvai durant son option « gratuite » en terminale, où, avec deux autres élèves il nous initia entre autres, aux beautés de la Princesse de Clêves, du début de la Recherche et à L’immoraliste de Gide.

En tous les cas, c’est grâce à lui, ainsi qu’à notre professeure de Français suivante, celle qui nous prépara aux bac, que je dois d’avoir été plus tard en classes prépas etc.

Elle s’appelait Me Khalifa, et passait aussi pour une originale dans notre bahut, essentiellement cependant en raison de son allure et de ses tenues vestimentaires. Sorte de Sonia Rykiel mais aux cheveux noirs corbeau, elle portait en sus de ses tenues gothiques extravagantes, toujours d’immenses lunettes de soleil qui sitôt son cours terminé, recachaient ses yeux lourdement maquillés. Jamais, elle ne témoignait aucune sorte de familiarité à notre égard, de sentimentalité mal placée.

On la trouvait distante, mais en fait, elle ne faisait que nous respecter et du coup, nous la respections de même. Car pour ce qui est de ses cours, c’était vraiment une grande Dame ! A l’époque, le programme du bac prévoyait que nous ayons naturellement les connaissances de base s’agissant de l’histoire littéraire en France de la Renaissance à nos jours, mais nous devions aussi plus particulièrement présenter 20 Textes choisis pour l’épreuve orale. Le programme était donc chargé et c’est grâce à elle, et son approche méthodique pour le coup des périodes, auteurs et oeuvres que nous y sommes parvenus. De même que Mr Clément, elle possédait une culture immense et était toujours autant passionnée par sa discipline, et nous fit entrer dans les profondeurs insoupçonnées des extraits qu’elle nous proposait. N’hésitant cependant pas à sortir du « programme » quand elle le voulait, et à expérimenter. C’est à elle, entre autre que je dois d’avoir découvert Paul Eluard et ses « Derniers poèmes d’amour », toujours bien gardés dans ma bibliothèque. A elle également, de m’avoir encouragée dans ma passion toute naissante pour l’Opéra.

Je ne sais comment, ou plutôt si, par le cinéma, cette même année, je découvris la Traviata et surtout Don Giovanni de Mozart par J. Losey, avec dans le rôle titre R. Raimondi. J’étais parfaitement enivrée. Comme nous étudions Molière, je lui ai donc proposé spontanément de faire un exposé comparant les manières dont le sujet était alors traité. Avec un ami, fou d’Opéra – déjà – je passais des heures à le préparer, et sus, je pense, convaincre mon auditoire par mon enthousiasme. Elle, de même, en fut très contente. Las, alors qu’elle nous avait donné une dissert à écrire sur un sujet proche, je m’en dispensais moi-même, estimant avoir rempli mon dû. Elle en fut profondément choquée et m’en tint rancœur quasi tout le reste de l’année. On la comprend. Moi, j’en fus quitte pour la honte, une bonne, une vraie. Comme mon intérêt pour sa discipline était bien réel lui, je tâchai de me faire oublier et eus – étonnamment pour ce qui est de l’écrit- d’excellents résultats au bac.

Mais là n’est pas la question, car nous voulons parler de certains de nos profs, qui nous ont guidé sur notre chemin de vie, et là, nous arrivons donc, à celle, qui, était à tous, notre « prof du coeur », notamment pour ceux qui ayant choisi la section « D » en Lycée, l’eurent alors comme prof principale jusqu’au bac. Je veux parler de Me Dollon, professeure de Sciences Naturelles.

Moi, à l’époque, je voulais devenir Infirmière ou assistante sociale, mais sans vraiment être bien sûre de rien, et avais donc opté pour les « Sciences de la vie et de la terre » comme on dit aujourd’hui, parce qu’elles étaient mieux côtés pour « l’après », offraient plus de liberté de choix.

Mais, on se répéte, nous étions indisciplinés, pour ne pas dire insupportables. Quel sacerdoce quand même que l’enseignement dans le secondaire ! Il faut vraiment avoir la « passion du métier » comme on dit: Soit de sa discipline, mais surtout des enfants, ados et jeunes adultes ! Et le doigté qui va avec. Fait de beaucoup d’expérience, mais aussi de sensibilité et d’intuition.

Madame Dollon rassemblait tout cela. D’office il était clair qu’elle était « gentille », soit avait du cœur, un grand cœur, et naturellement, nous en profitions, la charrions. Jamais elle ne le prenait personnellement. Ignorait nos provocations ou répondait par une boutade. Mais, elle savait alors aussi nous reprendre, et « sévèrement » nous ramener à l’objet de nos études. Je pense que ce qui la distinguait des autres, est justement que tout en étant très prof, elle restait humaine, et ouverte à la discussion quand il le fallait. Toujours est-il, que sans elle, nous n’aurions jamais pu traverser un drame qui nous affecta tous terriblement en année de première (ou de terminale).

Cette année là en effet, un jour, un de nos camarades, Michel, par ailleurs très timide et discret, ne vint pas en cours. Ni le deuxième, ni le troisième etc… C’est à elle, alors que revint, les larmes aux yeux, la lourde tâche de nous annoncer la nouvelle. Michel avait été tué par son père, qui après avoir assassiné toute sa famille, s’était également donné la mort. Quelle épouvante, quelle horreur, quel choc ! Nous étions sidérés, atterrés.

D’autres que Me Dollon aurait pu alors dire « voilà, c’est dit, c’est fait », on tourne la page et continue comme si de rien n’était. Mais elle comprit notre désarroi et même si naturellement nous étions un lycée laïc et multiconfessionnel, nous a accompagné dans notre travail de deuil, en organisant avec nous et en lien avec l’aumônier du Lycée, une cérémonie d’hommage et d’au revoir, comme on le pouvait.

Cela nous a naturellement rapproché. Et l’année suivante (ou les mois suivants), nous avons su lui en rendre gré. Nous étions en fin de parcours, les Sciences nat étaient notre matière à plus haut coefficient, peut-être nous étions-nous un peu assagis, devenant plus calmes et attentifs. Comme on se connaissait mieux maintenant et depuis le nombres d’années passées ensemble, quelque chose dans un changement subreptice de son comportement, nous mit la puce à l’oreille. Me Dollon était plus légère, souriait facilement… On la savait célibataire et du coup, toute la classe s’est mise à spéculer. On a commencé, à espace régulier à la questionner, la taquiner.

Entre deux dissections de souris ou de cœur de bœuf, je vous laisse imaginer. Toujours, elle prenait la tangente, sans manquer de rougir en passant.

Et puis un jour, elle nous a annoncé qu’elle serait absente toute une semaine d’affilée. Nous avons tous éclaté de rire et elle a bien été obliger de nous dire la vérité, à savoir qu’elle se mariait !

Nous étions si heureux pour elle. A son retour, sur son plan de laboratoire, du haut de l’estrade d’où elle nous enseignait, l’attendait un énorme bouquet et d’autres paquets.

Ce fut la fin des années Lycée. En beauté !

Le Lycée Molière (1) : la classe « allemand 1ère langue »

En 1978 ou quelque chose comme cela, mes parents ont perdu leur emploi car leur patron avait vendu tous ses magasins de notre faubourg chic de Paris. Choc. Comme ils étaient cependant de très bons gérants et commerçants, il leur proposa d’acheter pour eux une autre boutique qu’ils rembourseraient régulièrement. Dont acte et nous attérîmes dans le 16ème arrondissement. Des propositions avaient été faites à Marseille et rue Monge dans le 5ème, mais ma mère, trop habituée à un certain standing grand bourgeois de capitaines d’industrie, ne voulait pas.

Naturellement, je ne sais plus quels étaient les taux d’intérêt à l’époque, mais certainement ils devaient être très élevés. La nouvelle boutique était microscopique, dans une rue adjacente à l’avenue Mozart, c »est à dire mal fréquentée, mais elle avait une bonne réputation et il ne tenait qu’à eux de l’entretenir, voire de la développer encore plus. C’était un gros pari, relevable, si on s’y investissait corps et âme. Ce qu’ils ont fait. Quelques années plus tard, elle ne désemplissait pas et la clientèle faisait la queue sur le trottoir dans la rue.

Pour ma soeur et moi, cela signifiait concrètement, changement de quartier et de Lycée. On était encore jeunes, donc cela pouvait « passer ». S’agissant de ma soeur qui apprenait le Russe, seul le Lycée janson de Sailly, rue de la Pompe, venait en question. Elle y fut trés malheureuse, et des années plus tard, quand j’y ferais moi-même mes classes préparatoire aux grandes écoles, je crois que j’ai pu alors la comprendre.

Moi, en 5ème, je fus inscrite au Lycée Molière, rue du Ranelagh, soit direct à côté. Quelle chance !

Je n’avais pas du tout aimé le Lycée Pasteur de Neuilly, où au sortir de mon école primaire si protectrice j’avais été inscrite automatiquement à onze ans, et qui de par sa dimension, les incessants changements de classes et de professeurs, m’avait laissé absente à moi même. Je me revois encore, dans le labo de chimie, avec ma blouse blanche, qui devait, il semble, me conférer un certain statut, ne sachant pas du tout ce que je faisais là. Moi qui aimait la littérature et lire jusqu’à point d’heure, à la lumière des lampadaires de la rue la nuit, je n’ai pris aucun plaisir à étudier « L’enfant et la Rivière » de Bosco. Je ne comprenais même pas ce que l’on attendait de moi.

Le Lycée Molière fut ma planche de salut !

Et j’ai le souvenir très vif de cette nouvelle « rentrée » des classes, tout simplement, parce que avec 3 « nouvelles », qui ne sachions pas où aller, nous nous sommes retrouvées ensemble devant notre salle de classe attitrée, avec du retard, et n’osant naturellement pas « frapper » à la porte, de peur de se tromper et compte tenu déjà du retard accumulé.

Parmi ces deux comparses, mon amie VÉRONIQUE, qui par la suite, deviendra mon âme soeur pendant des années, avec qui nous entretiendrons des relations fusionnelles – trop d’ailleurs – jusqu’à ce que le Lycée (à partir de la première donc), nous sépare, même si depuis, notre amitié, voguant au rythme des vagues de la vie, des choix de l’une et de l’autre, n’a jamais flanchi et demeure – de loin – encore « unanstabar’ (intangible) comme on dit en allemand .

Je crois que Véronique, n’a peut-être jamais su combien elle et ses parents m’ont sauvée, d’une vie à la maison où la violence reprit de plus belle (compte tenu de la pression économique de mes parents) et qui devint rapidement intenable. L’enfer, s’il existe.

Elle, l’aumonerie du Lycée, et ce dernier donc.

Ouvert en 1888, comme troisième Lycée pour jeunes filles de la capitale (sur 23 en tout en France), il le fut, à l’inverse de Fénelon et de Racine, loin du centre, pour des raisons d’hygiène (Passy est alors un village), et aussi pour « hameçonner » de jeunes bourgeoises, dont l’objectif n’était pas de passer le bac (qui leur aurait donné la porte vers l’Université – Les programmes l’interdisaient même), mais juste de former en dehors de l’église de futures mères citoyennes, pas trop idiotes, destinées à être les épouses convenables des »fonctionnaires de la 3ème République » (dans le texte).

Un couvent laïc

Ce qui est drôle cependant, c’est que naturellement et comme tous les lycées d’alors, il est pour autant construit à la manière d’un couvent.

Une fois le porche franchi à des heures bien définies – le portier contrôle naturellement les arrivées, ce qui peut paraître un peu militaire, mais finalement, a du bon sachant que cela protège de potentiels « Amokläufer » comme on dit en allemand, soit de fous décidés à faire une tuerie – vous passez en effet devant la cour d’honneur, exclusivement réservée au proviseur et ses invités du Ministère de l’Education nationale quand il y en a, pour déboucher ensuite sur sa grande cour intérieure rectangulaire.

Un vrai cloître en fait, puisque les salles de cours le cercle de part et d’autre sous de hautes arcades réhaussées même au premier étage lors de son agrandissement dans la fin des années 1950.

A l’origine, cette cour intérieure était divisée en trois, suivant les tranches d’âge que l’établissement accueillait. De mon temps, et même si cette division restait marquée au sol, elle n’avait dans les faits plus lieu d’être.

Quoi qu’il en soit, ce Lycée, au contraire de l’autre vécu l’année précédente, était à taille « humaine », et cela faisait du bien.

Un lycée à part quant au recrutement

Son mode de recrutement, aussi, était très intéressant.

Jusqu’en 1927 où les cours du secondaire deviennent gratuits: beaucoup d’immigrées « blanches » de la Révolution de 1917 en Russie, de « juives » naturellement interdites des congrégations catholiques d’à côté et dont toutes mourront en déportation durant la seconde guerre mondiale. Une élève écrit « les étoiles disparaissent au fur et à mesure ». Sur les 42 élèves décédées entre 1939 et 1945, 31 sont de confession israélite, les autres périssant pour faits de Résistance.

Entre 1936 et 1939, Simone de Beauvoir, qui longtemps fut une de mes égéries, et le reste encore, y exerça aussi en tant que prof de philo, et, après avoir goûté une de ses élèves – Bianca Bienenfeld – , la « refila » à Jean-Paul Sartre ! Ils recommenceront plus tard avec une certaine Olga Kosakiewicz. On passe. Car moi, ce qui me choque dans toutes ces histoires, ce ne sont pas tant les amours saphiques de Simone (elle sera renvoyée pour cela), mais cette façon absolument cynique, de profiter de jeunes femmes immigrés, éthniquement/confessionnellement dévalorisées, pour les embarquer dans leurs jeux pervers. Quand Bianca, apprendra par le biais des « Lettres au castor » le jouet dont elle fut l’objet, elle écrira, naturellement profondément blessée et furieuse son anti livre « Mémoire d’une jeune fille dérangée ».

Quoi qu’il en soit, en 1978, le Lycée Molière était resté tel qu’en « lui même ». Accueillant, dans ce seizième arrondissement hautement bourgeois, des jeunes de tout horizon social, ce qui en faisait un lycée trés hétérogène, mais « familial » si l’on peut dire ainsi. Et je sais, par une petite nièce l’ayant fréquenté dernièrement, ou par des études statistiques relevées par le prof de théâtre (puisque comme son nom l’indique le Lycée Molière pratiquait à un haut degré le théâtre) il y a quelques années que cela a perduré jusqu’à aujourd’hui.

Dans ce cadre, notre « classe » était d’ailleurs vraiment révélatrice.

Allemand première langue (!)

Comme déjà expliqué dans un billet précédent, moi, personnellement, j’avais d’abord choisi l’allemand par opposition à l’anglais, dont la prononciation me paraissait impossible. Ce n’est que bien plus tard que je m’intéresserais à ce pays, et surtout à l’aire germanophone par le biais avant tout de l’empire austro-hongrois, dont le rêve d’un espace multiculturel m’a longtemps fascinée et fascine encore. J’étais loin de savoir, que cette langue passait pour « difficile » (ce qui n’est pas plus vrai que pour une autre), donc « élitiste ».

Et bien, notre promotion, était tout sauf élitiste, au contraire ! Vraiment. Moi, déjà, je n’étais pas franchement classée haut dans l’échelle sociale. Mais il y avait « pire » que moi si je puis dire ! Nous étions vraiment une classe « melting pot » ! Et du coup trés difficile à gérer. Mais trés !

En Allemagne, les enfants sont « triés » à la fin de l’école primaire, qui ne dure que 4 ans. C’est à dire que à 9 ans, un.e instituteur.trice, décide pour vous de l’avenir de vos enfants. Personne naturellement, ne le relève jamais (de toute façons en Allemagne, personne ne relève jamais rien).

C’est ainsi, que « normalement », ma fille Clara, compte tenu de ses problèmes auditifs, aurait dû être mise sur une voie de garage… aboutissant à RIEN, ou juste bonne à faire la plonge dans un restaurant. Heureusement, on n’a pas suivi le troupeau… et lutté contre ! Encore une chance ! Aujourd’hui, elle poursuit ses études universitaires ! Un mérite, qui lui revient à elle essentiellement tant elle a lutté pour rester dans la course.

En France, vous avez le collège unique. OK, c’est peut être pas ce qu’il y a de mieux, et très inconfortable pour le corps enseignant, mais du moins, cela offre-t-il une chance à tout le monde. Vraiment.

L’allemand, langue élitiste? Pfff. Ma première année (en 5ème donc), nous avons eu la chance d’avoir une « vraie » prof, qui a essayé de nous inculquer quelques bases de la morphosyntaxe allemande. Après, cela n’a été que de charybde en Scylla.

Je ne jette absolument pas la pierre à nos professeures d’alors. En aucun cas, au contraire. Je pense que certaines étaient cependant complètement dépassées par le public auquel elles avaient à faire face. Pour ce qui est des langues en tous les cas, à l’époque, pas trop prises au sérieux par le système.

Nous étions trés cruels.

Pendant des années nous avons eu par exemple une Madame Pommier, que nous appelions naturellement « Apfelbaum ». Elle était tellement terrorisée par nous, que nous réussissions, lors de la Sainte Barbe, le 4 décembre, là où tous les élèves de classes « spé » (préparation aux grandes écoles), descendaient sur nous pour nous asperger de mousse à raser, à l’enfermer dans un placard, pour soit-disant la « protéger ».

C’était tout simplement, affreux. Pour elle, et je m’en excuse aujourd’hui.

Nous pouvions donc être trés cruels, et pour le reste, attelage de bric et broc social, nous étions aussi trés soudés. Pour le pire donc, mais aussi le meilleur. D’ailleurs, aujourd’hui encore, certains « anciens », résidents tous à Paris ou non loin de là, se retrouvent souvent à intervalles réguliers.

Plus tard, toujours dans cette matière, nous avons eu des enseignantes (jamais d’hommes), qui nous balançaient des textes sur le nazisme et le nucléaire. Personne n’avait les bases linguistiques pour ça, et les sujets étaient naturellement sans nom. On ne faisait donc que du présentéisme.

De toutes façons, toute ma « carrière » au collège et lycée, n’a été faite que de ça. Du présentéisme pour l’essentiel, excepté quelques matières ou profs qui me motivaient et dont, dans le prochains posts, je voudrais rendre hommage : à commencer par mes enseigants de français (pour la discipline), et de sciences nat (pour l’humanité).

L’Eglise, le cathé, les communions

Et là, j’ouvre un chapitre très très important, car « L’Eglise », les évangiles surtout, ont été ma famille de rechange, d’adoption, mon espérance, ma foi, mon « idéologie » même si vous voulez, jusqu’à ce que mon monde s’effrite progressivement à partir de 2002, puis s’effondre littéralement et entièrement à partir de 2014.

Mon père était agnostique et ne s’en cachait pas d’ailleurs. Jamais il n’entrait dans une Eglise ou alors, pour des occasions de circonstances : mariages, baptèmes, enterrements. Je ne pense pas que ma mère non plus croyait, croit en Dieu, ou peut-être de loin, mais elle n’en n’a jamais parlé et n’en parlera certainement jamais, à moins que l’approche de la mort, lui fasse se poser peut-être quelques questions un peu plus profondes à ce sujet. Elle non plus n’entrait jamais dans une Eglise et n’allait jamais à la messe. Même pas celle de Noël ou de Pâques, c’est pour dire. Pratique proche ou égale à zéro.

L’Eglise pour elle, c’était surtout quelques rites de passage (communion, confirmation, mariage etc…) obligés avec des idées étranges et bien arrêtées sur le « comment cela devait se passer », le « paiement » de l’officiant ayant une importance capitale dans l’affaire. Pour ne pas dire essentielle. Voilà, cela doit être ça : elle achetait des sacrements comme on achète un gâteau.

Peu importe.

L’année où je commence à aller au catéchisme est certainement celle de mes six ans, soit de mon entrée à l’école primaire puisque les jeudis, puis plus tard mercredis, étaient libres pour que les enfants puissent recevoir une éducation religieuse à l’extérieur de l’école laïque.  J’aime bien aller au cours de cathé. Les dames qui s’en occupent, des mamans engagées de la paroisse certainement, sont gentilles, Il y a plein d’enfants, c’est gai, bruyant quand on a « récré », varié et coloré aussi. Certainement parce que, comme il se doit, nous « bricolons » des tas de trucs lors de nos séances hebdomadaires.

Pour autant, je n’en ai que de vagues souvenirs pour ne pas dire quasi aucun. Ou peut-être si, des histoires de l’ancien testament – Abel et Cain, Daniel, David et Goliath, Abraham etc…- que l’on nous raconte sur la base de Bibles illustrées pour enfants ou de bandes dessinées racontant la vie de certains prophètes, de Jésus ou de saints.

Non, en revanche, ce qui m’a vraiment marquée, ce sont les messes pour les familles du samedi soir.

Elles ont lieu à 18 h, dans la salle de spectacle de la paroisse. Je ne sais pas quand j’ai commencé à y aller, mais je ne devais pas tellement être plus âgée que mes six ans et surtout, j’y allais seule. Ce qui en soit est aussi un peu incroyable, car cela n’était pas la porte à côté, et en hiver, cela signifiait que je m’y rendais et en revenais seule dans la nuit.

Bien sûr, nous habitions donc ce faubourg très chic de Paris que j’ai déjà évoqué. L’avenue pour se rendre à l’Eglise était très large et très bien éclairée, les parisiens le samedi soir faisant encore leurs courses, mais quand même ! Laisser sa gamine en hiver rentrer à point d’heure et seule a quelque chose d’étonnant quand on y pense !

Là, cependant, il faut vraiment dire que ma mère à qui mon père avait entièrement délégué notre éducation, a toujours été très libérale dès qu’il s’agissait de l’Eglise, plus tard de l’aumônerie etc… D’une part parce qu’elle avait autre chose à faire et que du coup cela devait l’arranger de me savoir « gardée ». Puis, c’était l’Eglise justement, donc, je ne risquais pas d’y être dévergondée !

Toujours est-il que je garde un souvenir très fort de ces messes. Elles étaient organisées naturellement de manière très bon enfant, à hauteur de son public et de nos âges d’enfants ou d’adolescents justement. Le prêtre – Pierre Lochet – qui officiait et qui était aussi l’aumônier du Lycée d’à côté, avait en effet le don de nous impliquer puisqu’après les lectures, il ne disait pas de sermon, mais instaurait un dialogue avec nous. Sous forme de questions – réponses qui fusaient de nos bancs et de partout. Il faisait « cours » en quelque sorte, nous amenant avec dextérité à ce que cela soit nous qui analysions ce que nous venions d’entendre et y apportent des – nos réponses.

Et moi, j’aimais ça. Ces histoires fantastiques d’un autre temps, dans d’autres lieux, où les gens pouvaient atteindre des âges prophétiques de plus de deux cents ans ! Nous étions une grande famille, tout n’était qu’harmonie et bienveillance: Chaleureux.

Ça me rappelait l’école certainement aussi peut-être, ses rites, bien que comme nous l’avons vu auparavant, je n’ai été « bonne élève » que de manière très cyclique. Jamais en continu en tous les cas, l’idée même de « ce comme il faut » m’exaspérant profondément à vrai dire. Au Lycée cela sera pire, car en gros, mis à part quelques cours, je n’ai pas aimé du tout.

Toujours est-il que dès lors, je ne raterais jamais aucune messe pour tout l’or du monde. Et cela me poursuivra jusqu’à mes 28 ans, lors de mon départ en Allemagne, où là, je n’ai plus jamais retrouvé une communauté qui me comblait, me faisait du bien.

Par ce biais puis plus tard, par celui de l’aumônerie du Lycée de ce faubourg chic où je ne resterai qu’un an, mais y ferai ma première communion puis « communion solennelle », je développe un certain mysticisme (pas très étonnant diraient certains). En tous les cas, l’Église me donne une identité. Une « contre identité » ?

Je lis beaucoup de « vie de Jésus » et de « vie des Saints » et développe plus particulièrement une très forte intimité avec Thérèse de Lisieux qui devient une sorte de modèle et dont je rêve de suivre les pas. Tout comme elle, je « brûle » d’amour pour le Christ ( !) et souhaite moi aussi entrer dans un Carmel ( !). Un jour, en vacances chez une autre Tante, institutrice dans un village de campagne et pure républicaine soit laïcarde, quand suite à une de ses questions certainement sur mon « avenir » ou je ne sais quoi, je le lui dis, elle en tombe presque par terre et n’en croit pas ses oreilles. Pour elle, cela doit être le comble du blasphème ! Paradoxe.

Toujours est-il que je continue d’abasourdir mon entourage, car quand je fais ma première communion, pour cadeau je demande une bible illustrée et un crucifix, soit me refuse à tous cadeaux profanes. Rebelotte pour ma communion solennelle. Là, je me souviens aussi très bien avoir beaucoup pleuré car ce fut l’année où pour des raisons de sécurité, les filles ne durent plus porter de « voile » de petite mariée. Rions!

A cette occasion quoi qu’il en soit, et alors que mes parents ont invité cette fois et comme il se doit le ban et l’arrière-ban de mes proches concernés dont cette Madame Maria déjà évoquée, je recommence avec mon refus de cadeaux profanes et réitère avec la demande d’une croix en or pour ma chaîne de baptême cette fois.

Tout le monde trouve cela légèrement ridicule, ou disons exagéré, mais s’exécute, ne manquant pas cependant de sacrifier aux éternelles montres et autres gourmettes de circonstance.

Pierre Pasquier, mon professeur de violon

Vers huit / neuf ans, tandis que ma sœur faisait du tennis ou autre chose, j’ai émis le souhait d’apprendre un instrument de musique, le violon très concrètement.

Je ne sais pas d’où m’est venue l’idée. On n’écoutait pas de musique à la maison, ou de la « pop ». Peut-être fut-ce à l’issue d’une représentation de Casse-Noisette de Tchaïkovski où nos parents nous avaient amené à Noël et dont j’étais sortie en larmes par tant de beauté.

Toujours est-il que j’ai émis ce vœux, et pas un autre.

A la maison ça allait mieux, et bien qu’indisciplinée j’avais de trés bons résultats scolaires. Ma mère commença donc à se renseigner auprès de sa clientèle et, oh bonheur, trouva un ancien altiste, qui accepta de me prendre en charge.

De fait, cet « ancien altiste » était un artiste très célèbre, issu lui-même d’une famille de musiciens et avait d’ailleurs formé avec deux de ses frères un trio à cordes connu dans le monde entier. Il était également marié à une violoncelliste et pianiste dont il eut 4 fils.

Trois reformèrent plus tard et à leur tour un trio à cordes qui fut tout autant célèbre. L’aîné, pourtant aussi pianiste, se décida en revanche pour l’histoire de l’Art et devint Conservateur au Musée du Louvre.

Monsieur Pierre Pasquier, puisque c’est son nom, devait avoir à l’époque, d’après mes impressions, dans les 75 ans. Ou peut-être non.

Dans le regard d’un enfant, on est toujours très vieux. Moi, là, j’ai plus de 55 ans, et dans cinq ans, je serai « bonne » pour la retraite en France. Je passerai du côté des vieux.

Peut-être donc, n’avait-il pas 75 ans, mais juste 60 ou 65. Rien en somme ! C’est juste en revanche qu’il s’était mis à la retraite de ses activités concertantes. Bien lui en fasse, car il y a des musiciens, qui, comme beaucoup d’autres, ne savent jamais s’arrêter. Et là, je pense à Yehudi Menuhin, qui, il faut bien le dire, s’est acharné au-delà du raisonnable.

Mr Pasquier habitait une grande maison avec jardin dans notre faubourg très chic. Dès que qu’on m’ouvrait la porte, tout ne sonnait que musique. Sa femme, un peu extravagante, fantasque, donnant soit un cours de piano ou de violoncelle, les « enfants » (déjà adultes) répétant à un des étages de cette maison de ville qui en avait trois.

Je suivais alors mon « maître » dans son bureau attenant à leur chambre à coucher conjugale, et invariablement, avant que l’on commence le cours, nous vaquions à d’autres activités. Je pense qu’il me prenait pour la « petite fille » qu’il n’avait pas encore eu.

D’abord, il me montrait ses derniers dessins, car en sus de tout le reste, c’était un excellent dessinateur et aquarelliste.

Ensuite, il s’occupait de mon violon, le nettoyait et le polissait avec ce vernis ou cire dont l’odeur m’enivrait littéralement. Enfin, il enduisait de colophane les crins de mon archet et l’on pouvait commencer : gamme, exercices techniques, morceau.

Quand on avait fini, on redescendait au RDC et là, suivant les occasions, je pouvais être amenée à exercer d’autres occupations comme : ratisser le jardin avec lui, éplucher des légumes avec sa femme dans la cuisine et surtout écouter cette dernière donnant une leçon, ou jouant exprès pour moi du Bach au piano me demandant ensuite ce que j’en pensais. Malheureusement, un jour, à la vue de la partition noircie de croches et doubles croches, j’ai paniqué et dû répondre : « il y a trop de notes je trouve » ce qui l’a laissé pantoise car elle me regarda d’un air étonné. Nous n’étions pas des mêmes milieux sociaux.

Pour autant, c’est indubitablement dans cette maison que j’ai fait la connaissance de la « musique ». J’y allais les mercredi ou jeudi après-midi, et souvent y restais jusqu’au soir. Mon professeur était comme un grand-père pour moi.

Las, je n’étais pas très studieuse. Au début si (la force de l’enthousiasme), puis moins régulièrement (même si mon chien hurlait vraiment à mort quand je jouais, cela n’était pas la seule raison), puis presque plus du tout entre deux leçons, parce que j’avais vraiment du mal avec les doigtés et la justesse, avais pris de mauvaises habitudes de tenue et donc me décourageais. Plus tard, j’ai basculé sur le chant, car en revanche, j’avais l’oreille juste et chantais de même.

Il ne m’en tint jamais rigueur, pas du tout, mais triste, il l’était certainement, ayant sans doute pensé qu’il aurait pu faire quelque chose de moi.

Il avait dû aussi comprendre que je n’avais strictement aucun soutien à la maison, ni aucun encouragement.

Un jour, alors que je lui disais que nous étions allés à un concert le WE avec mes parents, il est devenu radieux et m’a demandé « lequel ? ». J’ai répondu : « le show de Sylvie Vartan à la Porte Maillot, c’était fantastique ». Il m’a répondu « Ah bon ».

Je crois qu’à partir de là, il a en quelque sorte abandonné mon éducation musicale. J’allais bien chez lui toutes les semaines, mais il savait que j’avais peu travaillé et qu’inlassablement nous allions répéter, ce que nous avions déjà fait la semaine d’avant, sans avoir vraiment progressé.

L’année où nous avons déménagé, il m’a offert quelques-unes de ses aquarelles et une photo de lui à l’âge de sa célébrité avec de gentilles dédicaces. Celles-là sont toujours accrochés à mes murs aujourd’hui et quasiment tous les jours, me font penser à lui.

J’ai continué pendant un an à faire les trajets jusque chez lui, mais comme c’était assez loin, j’ai fini par m’inscrire au conservatoire de mon nouveau quartier. Là, le solfège ça allait encore, mais ma nouvelle professeure de violon était très mécontente de mon niveau, de ma tenue, me bousculait (ce qui était son rôle). Je me suis mise à travailler beaucoup plus, mais rien n’y fit. J’avais pris trop de mauvaises habitudes, jouais trop souvent faux, ai raté mon examen et donc arrêté.

C’est grâce à lui cependant, à elle, à cette famille artiste si extraordinaire, leur bonté, que dès lors je n’ai cessé de m’intéresser à la musique.

En chantant dans des chorales.

En suivant au lycée quasi seule (!), l’option qui y était proposée pour le BAC que j’ai passée en chantant justement l’air « Gute Nacht » de Bach.

Peu à peu, je me suis constitué moi-même un répertoire en achetant des 33 Tours de Chopin, Brahms, Mozart, Purcell, Bach….

Plus tard, par le biais de mon premier petit ami, je me suis impliquée dans une association qui organisait dans l’Eglise Saint Merry à côté de Beaubourg, deux concerts gratuits tous les week end et ce, dans le cadre de sa pastorale d’ouverture au monde et d’accueil de tous, quelles que soient leurs motivations. J’y suis restée presque dix ans.

Pendant dix ans, cela fut ma joie et ma raison de vivre. J’en fus même quelque temps responsable, bénéficiant en échange d’un logement gratuit en plein cœur de Paris, ce qui me permettait d’aller trois fois par semaine au moins à d’autres concerts et surtout à l’opéra avec toute ma clique de « musicos » d’alors. Des copains de Sciences Po, où fait à travers des stages. Un ami de toujours, entre temps baryton reconnu.

C’est là aussi, que j’ai rencontré celui qui devint plus tard mon mari et je pense que c’est « grâce » à Mr Pasquier que je l’ai épousé. En écrivant cela, je me rends compte en effet du formidable « transfert » que j’ai dû faire à l’époque, et ce, sans m’en rendre compte, car ce « mari » était naturellement musicien, mais il avait aussi la « stature » de mon ancien maître de violon. Très grand, mince. Aujourd’hui, il a aussi vieilli, mais l’on peut sans conteste dire qu’il a une certaine prestance, ce qui, ajouté à ses dons musicaux, sa virtuosité, lui confère un statut olympien.

Difficile cependant de vivre avec un Dieu.

Madame Maria, la cuisinière du commerce

J’ai plus de six ans maintenant.

Mes parents vont mieux et tiennent un commerce sur une avenue aux proportions démesurées où j’aime bien faire du patin à roulettes, tirée par mon chien, qui, mis au défi, court devant moi comme un dératé.

Dans l’arrière-boutique, œuvrait une femme, que l’on ne voyait jamais hors de ce domaine si particulier.

Madame Maria, c’est comme cela qu’on l’appelait, avait déjà un certain âge, quand elle a commencé à s’occuper de nous à la sortie de l’école. Entendez, le midi surtout.

Petite et légèrement voutée déjà, elle devait être guadeloupéenne ou martiniquaise ou peut-être même d’origine haïtienne, en tous les cas avait une peau d’ébène qui ne trahissait aucun métissage, et la tête toujours enturbannée d’un foulard qui ne la quittait jamais. Comme là-bas en quelque sorte et cette femme ci-dessous.

De son histoire, je ne sais rien. Mais rien. Juste qu’elle était célibataire et avait toujours travaillé comme bonne à tout faire dans plusieurs familles, et donc là, comme cuisinière pour le personnel du commerce (6 personnes au moins, sans les enfants). Toute sa vie parisienne, elle a habité la même chambre de bonne, certainement au plus de 10 m2, au sixième étage sans ascenseur et comme il se doit, les toilettes sur le palier.

Elle arrivait tôt à son travail (et je pense que son travail, le service aux autres était toute sa vie), parce que les employés commençant très tôt et travaillant dur, vers 7 heures ou 8 heures du matin, avant que la boutique n’ouvre, il fallait leur offrir un petit déjeuner substantiel.

On a peine à le croire aujourd’hui, mais « petit déjeuner », cela ne voulait alors pas dire baguette et confiture, mais un vrai repas, avec de la viande etc…

A midi, c’était alors le tour des enfants – ma sœur et moi- pour le déjeuner avant de repartir pour l’école.

Souvent on avait droit à des menus spéciaux, notamment moi, qui toujours plus ou moins anorexique, avais besoin de « fer », de vitamine « b ».  Que n’ai-je mangé de cervelles d’agneaux, ris, foie de veau et j’en passe et des meilleurs. Sans compter un dessert, car il y avait toujours des desserts, à chaque repas, comme le merveilleux pain perdu ou les dames blanches qu’elle seule savait faire à la perfection. Je l’aimais bien, elle m’aimait bien. Je n’étais pas compliquée. Aimais la regarder travailler, aider et lui poser plein de questions.

Je n’ai strictement aucun souvenir malheureux dans cette cuisine de l’arrière-boutique. Au contraire, j’y étais gâtée et pouvais jouer dans la cour attenante en attendant la reprise de l’école l’après-midi.

Après notre déjeuner, cela n’en était pas pour autant fini du travail de Madame Maria. Car de nouveau, tous les employés arrivaient vers 13 h pour manger. Puis faisaient la sieste n’importe où il y avait de la place avant de repartir travailler vers les 15 heures pendant qu’elle attaquait sa troisième vaisselle de la journée et repartait pour un autre tour consistant à cuisiner pour nous le soir.

Quasiment toute ma vie d’enfance et d’adolescente à la maison, il y a eu quelqu’un dans la boutique de nos parents qui nous préparait la plupart des repas du midi et du soir. Ce qui n’empêchait pas ma mère de rouspéter et houspiller tout son monde.

Je n’ai aucune idée de combien Madame Maria était payée. Des clopinettes certainement.

Le jour où j’ai fait ma première communion (vers 10/11 ans), en signe de son affection pour moi, elle m’a offert peut-être le seul objet de valeur qu’elle possédait.

Une énorme médaille en or massif représentant Vercingétorix sur son côté face, côté pile, je ne sais plus.

C’était un acte et un don incroyable pour cette femme, qui toute sa vie n’avait possédé que le strict minimum pour vivre ou ne pas dire survivre.

Quand nous avons déménagé, j’ai été lui rendre visite (je crois qu’elle avait pris sa retraite quoi qu’il en soit) dans sa petite chambre mansardée du sixième étage. Là, j’ai découvert, choquée, ses vraies conditions de vie, et de ce fait, l’immense modestie, serviabilité et amour dont elle avait fait preuve toute sa vie.

Oui, Madame Maria était une asservie. Elle ne s’était jamais plainte de rien ou avait peut-être parfois ronchonné compte tenu des exigences de sa « patronne ». Mais elle avait su garder beaucoup d’humanité et a toujours été d’une extrême gentillesse et générosité à mon égard. Merci !

Plus de quarante ans plus tard, quand ma mère m’a donné cette médaille de Me Maria, je l’ai vendue et à la place me suis acheté une jolie bague que je porte sur moi. Toujours. En souvenir d’elle.

Mes ami.e.s, l’école primaire

J’écris sous la forme inclusive, car de fait, j’avais deux groupes d’ami.e.s.

D’abord des garçons qui tous deux s’appelaient Alexandre et chez qui j’étais régulièrement invitée pour passer des jeudis après-midi à jouer au « garage », aux « avions » ou je ne sais quel autre jeu masculin. Moi, cela ne me gênait pas car j’étais assez « facile » à vivre, pas peste ou capricieuse pour un sou, assez garçon manqué en somme, et j’aimais bien être en leur compagnie, dans leurs beaux et grands appartements avec leurs mamans gentilles qui nous préparaient de bons goûters.

Le deuxième groupe consistait en une famille avec 4 enfants dont 3 filles, les deux ainées bien qu’ayant un ou deux ans d’écart, étant dans la même classe que la mienne.

Nathalie et Isabelle, pour ne pas dire leurs vrais prénoms, étaient vraiment mes grandes amies. Elles avaient aussi une petite sœur Marguerite, et un petit frère dont malheureusement j’ai oublié le nom.

Chez elles, j’ai passé des heures et des heures, en semaine après l’école, certains autres jeudis et moultes samedis. J’y étais, pour ne pas dire tout le temps, cependant très souvent.

Je ne cessais de m’étonner sur leur mode de vie, tellement radicalement différents de ce qui se passait chez nous.

Leurs parents étaient médecins et actifs tous deux, très libéraux et « cools » comme on dirait aujourd’hui. Dans la journée, c’est une gouvernante qui s’en occupait naturellement. Leur appartement était aussi de type Hausmann, et beaucoup plus grand que le nôtre pour loger cette famille nombreuse. Comme toujours un long couloir desservait les chambres des enfants et nous servait très souvent d’aire de jeu préférée. Elles avaient aussi des animaux – lapins, tortue, hamster – dont il fallait bien sûr s’occuper, si ce n’est ennuyer.

On jouait à tout ce que peuvent jouer des filles pour le coup, tout en étant très émancipées par ailleurs.

En classe, nous n’étions pas en concurrence, en revanche, il est clair que faisions parties du trio de tête, y compris Isabelle, la cadette, qui malgré son jeune âge, souvent nous dépassait, le savait et que parfois, je trouvais un peu arrogante de ce fait.

Moi, de toutes façons, j’étais cyclothymique si l’on peut dire. Tout dépendait du professeur de l’année en cours. Je ne me souviens absolument pas des deux premières, mais très bien des trois derniers.

En CE2, j’ai eu un instituteur très troisième République, qui, vêtu d’une blouse grise commençait toujours ses cours par une leçon de morale à l’ancienne. Il était très exigeant, nous lançait des défis, notamment en mathématiques, ce qui moi, me ravissait. Et les récompenses, quand nous le satisfaisions, étaient vraiment passionnantes (dias animés, cours d’histoire). Nous l’adorions en fait. J’étais très bonne élève dans sa classe.

Mais il était aussi un peu sadique aussi, il faut le dire. Quand il corrigeait, penché par-dessus nos épaules, nos devoirs dans nos cahiers, à chaque faute repérée, il nous enfonçait la pointe de son stylo bic dans la tête. Pas très fort bien sûr, mais quand même ! Un jour, alors que je bavardais trop à son gré (j’étais bavarde donc), il a voulu me donner un coup de bâton sur les fesses mais du haut de son bureau, m’a « ratée». J’en ai eu une ecchymose longue et bien bleue que je n’ai pas réussi à cacher à ma mère qui a été se plaindre au Directeur. Occasion pour elle certainement aussi de se disculper de ses propres exactions, car elle ne dit naturellement jamais ce qu’elle nous faisait subir à la maison. Comme je n’étais pas aussi soignée et appliquée que ma sœur, un jour elle a abandonné le contrôle des devoirs. Tant mieux !

Je préférais faire toute seule que sous ses gifles !

Le CM1 fut une catastrophe. L’institutrice m’avait prise en grippe compte tenu du nombre de fautes d’orthographe incroyables que je faisais (et fais toujours). La pédagogie « noire » qu’elle aimait pratiquer a alors provoqué le résultat attendu. J’ai flanché, en ai fait encore plus, mais me suis rattrapée l’année suivante où, bénéficiant cette fois-ci d’un extraordinaire pédagogue, j’ai terminé 1ère de la Classe, ce qui m’a valu l’ouverture d’un compte épargne crédité de 100 FF par la municipalité !

Je pense que ma mère ne comprenait pas. Le « démon » de la famille réussissait mieux que la sœur aînée pourtant tellement sage et appliquée.

Avec mes amies filles, Je n’ai jamais eu l’occasion de partir en vacances, mais j’ai été plus qu’accueillie chez elles, et c’était un espace de liberté incroyable qui me rendait heureuse. Quand ma famille a déménagé dans Paris intra-muros, 6 ans plus tard, rapidement, nous nous sommes perdues de vue, et cela fut une grande de perte. La fin d’une certaine enfance libre, joyeuse et insouciante.

Ma grand-mère

C’était une belle femme. Même dans ses portraits de femme adulte, non aprêtée, elle a un beau profil.

Celle d’un femme grecque. Malgré le labeur et toutes les humiliations éprouvées, elle garde son beau profil « grec », une vague mèche de cheveux, sortie de son chignon tous les jours refait, balayant insidument son visage impassible et serein.

Ell est vraiment « belle ».

A 17 ans, elle est belle, à 50 ans elle est belle !

A 15 ou 16 ans, elle a été violée. Naturellement, on ne connaitra jamais les circonstances ! A Carnaval ? Par le facteur ?Par un type de passage pour la foire ?

Toujours est-il qu’à 16 ans (la deuxième année de ses règles), elle se retrouve « enceinte ». Comme sa mère, exactement en même temps, d’un second mariage d’après guerre.

Cela fait quand même un drôle d’attelage, une mère et une fille, EN MÊME TEMPS ENCEINTES, à 15 ans d’intervalles !!!

Il faut s’imaginer la situation : la mère – pauvre veuve de guerre, le mari fauché dès octobre 1914, sans le sous sans rien – se remarie (naturellement, quoi d’autre. Une femme sans mari à l’époque, était tout simplement perdue), avec un Mr, dont le frère, plus tard posant son regard sur la fille, la benjamine, qui avait été enceinte du « facteur », la demandera en mariage !

Vous voulez quoi faire, vous, en de telles circonstances!

Naturellement, elle accepte. Et mon Grand-père, un « vert galant », ne sera quand même pas tout à fait salaud car il reconnaitra ce fils illégitime comme le « sien » (merci!).

Après, il lui en fera 12 autres, sans compter ceux que l’on ne connait pas, sauf une, puisque comme je l’ai appris l’année dernière seulement, c’était un coureur de jupons qui avait au moins une amante « officielle », dont il eut aussi une fille, ce que, dans le village, tout le monde savait.

Ma GM est morte trés jeune (63 ans). Complètement usée, épuisée, par le labeur et la peine aussi certainement.

Elle avait très vite appris, que les hommes, vont « à droite » et « à gauche » restant maîtres de leur destin. Elle, avait choisi la soumission, n’ayant pas d’autre choix.

En revanche, il semble qu’elle ait été une mère aimante ! La parfaite « victime » en sorte! Aujourd’hui encore, tout le monde ne pense à elle qu’en ayant immédiatement les yeux embués. Elle supportait (malgré 13 grossesses), les incartades de son mari. Elle n’a jamais battu méchamment ses enfants, mais au contraire semble avoir été assez libérale, compréhensive. Jamais, elle ne s’est plainte, alors que tous ses enfants, la regardait « pleurer » (elle ne pleurait pas naturellement, juste se taisait), le dimanche après-midi, quand il allait chez « l’autre ».

Bien que cette famille d’agriculteurs ne soit pas riche, et encore moins quand on sait que naturellement, elle s’agrandit pour l’essentiel en pleine seconde guerre mondiale et juste après, JAMAIS, aucun de ses 13 enfants n’a manqué d’une chemise, pantalon, veste, chaussettes…

Et puis, on était à la campagne. Donc, naturellement, même pendant la guerre, personne n’a eu à manquer de je ne sais quelle brioche, tarte, quatre quart ou autre dessert. Les oeufs, les poules les pondaient, le beurre, les vaches le faisaient, et pour la farine, on s’arrangeait avec le boulanger.

Toujours, quand j’interroge sur mes origines, il y a au centre cette femme… qui visiblement soudait la famille et que tout le monde aimait puisqu’ils commencent tous aussi immédiatement à pleurer !

« On était pris comme on était. Etait immédiatement absorbé comme un des leurs, sans qu’aucune question ne soit posée ».

Et sur les photos d’époque, à plusieurs années d’intervalle, qu’elles aient été prises au temps de la moisson ou des vendanges, de fait on ne peut que constater, que tout le monde (et cela en fait une tripotée) sourit ou rit.

Hommage te soit rendu Renée.