Pologne/Allemagne : valse à 4 temps

Je ne sais pas ce qui m’a prise avant-hier, mais, ayant repéré sur Netflix un documentaire nommé « Merkel », tout en me disant « quelle barbe », je me suis décidée à le regarder (il n’y a que moi pour faire ce genre de chose). Et le pire, c’est que, deux jours plus tard, voyant qu’elle avait donné une longue interview à un des rédacteurs en chef de Die Zeit lors de la foire du livre de Leipzig, j’ai récidivé. Résultat, j’en suis resté bouche bée.

Bouche bée de la voir, en 1991 et les années suivantes, alors qu’elle est encore cette jeune (35 ans) « ossie » protégée d’Helmut Kohl et parachutée ministre dans différents gouvernements, rester quasi mutique lors d’interviews de journalistes. Dans l’hyper-contrôle absolu, le visage totalement fermée, répondant, quand elle le fait, de manière laconique et en trois mots à son interlocuteur, ce qui faisait immédiatement ou presque tourner court l’entretien.

Bouche bée, hier donc, car, et si comme elle l’a dit elle-même « à l’époque, je tenais maximum 7 minutes, maintenant, j’arrive sans problème à discuter plus de 45 minutes », après deux heures ( !) elle n’a pas lâché ce que pourtant son interlocuteur, Di Lorenzo, avec un tact sans pareil, a tenté de lui faire dire et que tout le monde attend ici outre-Rhin. A savoir qu’elle reconnaisse une ombre « d’erreur », ou peut-être un quelconque « manque de discernement », ce qui serait déjà énorme, dans la politique qu’elle a menée pendant de nombreuses années à l’égard de la Russie en général. Et de Poutine en particulier.

« Non, rien de rien. Non, je ne regrette rien ». Tel était le message. Elle a toujours fait du mieux qu’elle a pu, dans le contexte d’alors, et les mesures prises, même si elles n’ont pas porté les fruits qu’on en escomptait, valaient la peine d’être tentées. Fermer le ban.

Voilà qui va faire plaisir, entre autres, à la Pologne, ou disons à son gouvernement en place. Et devrait rassurer les Français, qui depuis un an, craignent que l’Allemagne, guerre en Ukraine oblige, déplace sous son leadership et sa « Zeitwende », le centre de gravité de l’Europe vers l’Est et les « PECO » pour pays d’Europe centrale et orientale.

Bein, selon nous, c’est pas demain la veille on va dire ! Du moins pas d’ici les élections législatives polonaises de septembre, tant les incompréhensions, entre les deux pays restent grandes. Pour ne pas dire immenses, incommensurables. Et chargées de ressentiments, certes entretenus à des fins électorales par le pouvoir polonais conservateur PIS en place, mais tellement compréhensibles compte tenu de l’histoire.

La Russie justement.

Marquée au fer rouge par des siècles d’impérialisme russe puis soviétique, nulle plus que la Pologne n’a mis en garde la décennie passée l’Europe et l’Allemagne en particulier, de la volonté hégémonique de Poutine. De sa perversité, de son machiavélisme et du danger que cela représentait de vouloir à tout prix maintenir, entre autres, des relations commerciales avec lui (d’après le slogan « la démocratie par le commerce »).

Qu’à cela ne tienne, l’Allemagne s’est entêtée, notamment s’agissant du pharaonique projet de pipeline Nord Stream 2, BB de l’ex chancelier Schröder membre de son CA et qui, alternative à NS1 traversant l’Ukraine, devait continuer à l’approvisionner de gaz bon marché et couvrir 60% de ses besoins intérieurs.

Oui. 60%. Vous avez bien lu. Depuis un an, par la force des choses, NS2, c’est fini cependant, les importations sont nulles, et comme par miracle, l’Allemagne a trouvé des alternatives et son économie n’a même pas souffert…

L’Ukraine ? On ne connait rien aux accords de Minsk, trouvés et signés sous la houlette de la France et de l’Allemagne suite à l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, donc on ne va pas en parler. On peut cependant assez bien imaginer que le format « Normandie » chargé de le faire appliquer et dont faisait aussi partie la Pologne, a dû laisser cette dernière pantoise plus d’une fois, qui, comme l’Ukraine, milite haut et fort depuis longtemps pour une intégration de cette dernière à l’OTAN.  

Raté.

Depuis un an, c’est la guerre et la Pologne, comme ses voisins baltes eux aussi vaccinés anti-russes, est depuis le début aux avant-postes du conflit.

Géographiquement naturellement, puisque c’est vers ce pays frontalier que les ukrainiens en détresse et en fuite, se sont d’abord tournés. Au plus fort de la « crise », la Pologne a ainsi accueilli 2,4 millions de réfugiés ukrainiens, près de 1,4 millions étant toujours sur son territoire (1 million en RFA). Jusqu’à aujourd’hui plus de 8 milliards d’Euros ont en tous les cas été versés pour cette aide humanitaire.

Militairement ensuite. Aujourd’hui, outre qu’avec 4% de son PIB investi dans la Défense la Pologne est en passe de devenir la première puissance militaire d’Europe, elle est quoi qu’il en soit déjà la base arrière « no name » de l’OTAN s’agissant du conflit en cours puisque c’est par elle que transite 80% de l’aide militaire vers l’Ukraine. C’est aussi par elle que transitent tous les chefs d’Etat quand ils veulent se rendre à Kiev et doivent prendre le train puisque l’espace aérien civil de l’Ukraine est bloqué. La dernière fois que Olaf Scholz l’a fait, il n’a pas cependant pas daigné prévenir le Président Duda…

Surtout, elle se veut le fer de lance d’une « coalition » de l’Est justement contre une « hégémonie allemande » réelle ou fantasmée, en tous les cas décriée, et soutient massivement l’Ukraine par l’envoi de matériels propres (2,4 milliards), quitte à prendre les devants et couper l’herbe sous le pied de ses partenaires… justement. 

A l’automne dernier, face à l’atermoiement du chancelier Olaf Scholz à livrer des chars de combats Léopard (qui a quand même duré des semaines), elle avait ainsi menacé de le faire de son côté sans son autorisation, accusant la RFA « d’égoïsme ».

Dans le même ordre d’idée, c’est encore elle qui a brisé un tabou européen et transatlantique, livrant début avril – outre 150 véhicules de combats s’ajoutant aux 300 chars déjà transférés– 8 avions de chasse à W. Zelensky, en première visite d’Etat à l’étranger depuis le début de la guerre…

Dans tous ces jeux de « poker », à l’échelle mondiale ou européenne, il est clair que la politique intérieure joue un grand rôle, et la germanophobie dont font régulièrement preuve les membres du gouvernement PIS polonais, est aussi clairement destinée à mobiliser un électorat national dont il n’est plus aussi sûr que par le passé à force d’atteintes à l’Etat de droit (système juridique, droits des minorités, à l’avortement etc…).

Des traumatismes encore très vifs

Pour autant, nier les traumatismes vécus par la Pologne tout au long du XXième siècle – entre autres- serait tout autant contre-productif. Or, en la matière, et comme dirait un observateur outre-Rhin, il reste beaucoup de travail à faire. Les plaies du passé étant loin d’être cicatrisées.

Car si tout un chacun, s’agissant de la seconde guerre mondiale pense Holocauste, Shoah, antisémitisme et Auschwitz bien sûr, le crime parmi les crimes, beaucoup ne sait pas que la population polonaise non juive a payé un très lourd tribut à la folie nazie (et stalinienne) pour qui les slaves, étaient aussi des « esclaves » (ce dernier mot venant du premier au Moyen Âge).

Pour mémoire, dès le dépeçage en 1939 en vertu du pacte Ribbentrop de la Pologne par les nazis (2/3) et l’Union soviétique (1/3), les deux régimes vont immédiatement s’attacher à éliminer toute l’élite polonaise et à esclavager le « commun », les ouvriers et paysans devant servir leurs « maîtres ». De part et d’autre, des massacres ont lieu (1000 officiers à Katin par les Russes, 50000 membres du clergé, de l’aristocratie, du corps universitaire par les nazis), les Polonais non juifs sont déportés (60.000 en Russie, 2 millions de travailleurs polonais dans le Reich allemands contre colons allemands forcés en Pologne), et les atrocités quotidiennes (exécutions, expropriations, pillages, vols etc…).

Dans ce cadre, les juifs, qui avec un peu plus de 3 millions de personnes en Pologne, constituent la plus importante communauté d’Europe, sont naturellement tout en bas de l’échelle.

Dès novembre 1940, la population juive qui se trouve à plus de 60% en zone d’occupation nazie (dont le gouvernement général de Pologne au centre), est, si elle n’est pas éliminée par des Einsatzgruppen, parquée dans des ghettos, celui de Varsovie, avec près de 350.000 personnes, étant le plus grand après celui de Lodz (160.000 personnes).

En 1941, suite à l’attaque contre la Russie, les premiers camps d’extermination, en dehors du travail – Chelmno (camion à gaz), Belzec (1ères chambres à gaz fixes) – apparaissent, suivis, après la conférence de Wannsee en 1942 et la décision de la solution finale, par ceux d’extermination pure de Sobibor, Treblinka, et bien sûr Auschwitz Birkenau.  Entre mars 1942 et octobre 1943, plus d’1,8 millions de juifs seront exterminés dans le gouvernement général de Pologne.

Insurrections du Ghetto de Varsovie (1943), de Varsovie (1944)

Durant l’été 1942, le ghetto de Varsovie est ainsi quasi vidé, puisque fin septembre n’y vivent plus que 30.000 à 50.000 personnes. Dans un ultime acte de révolte, tout en sachant que cela était sans issue, 1000 combattants d’organisations de travailleurs et/ou sionistes, provoqueront une insurrection le 19 avril 1943. Réprimée bien sûr. Le 16 mai 1943, le ghetto était définitivement liquidé. Brûlé, rasé.

En 1944, satisfaits, les nazis estimeront qu’il n’existe plus que 200.000 juifs en Pologne.

En août 1944, c’est la résistance intérieure toutes confessions confondues (dont un réseau juif, soutenu par le gouvernement en exil) qui déclenchera cette fois l’insurrection de Varsovie. Et bien que l’armée rouge soit aux portes de la ville, elle laissera faire dans son intérêt. Bilan : 200 .000 morts, le reste de la population civile (350.000 personnes) étant déportée à la fin de l’insurrection et la ville, déjà très endommagée, finie d’être à 80% rasée.

Au total en 1945, on estime que la Pologne aura perdu 20% de sa population, soit plus de 5 millions de personnes : 3 millions de juifs, leur communauté ayant été exterminée à 97%.

Et plus de 2 millions de polonais non juifs.

Un rapport récent rendu par une commission parlementaire polonaise (et non remise en cause sur le fond par des scientifiques allemands), estime par ailleurs à 170 milliards d’Euros les dommages matériels et à 4 milliards les dommages immatériels occasionnés par l’occupation nazie en Pologne. Celle-ci ayant été la plus pillée de tous les pays occupés par l’Allemagne du Reich.

Au gouvernement polonais alors, de réclamer, il y a à peine 6 mois encore, le paiement par l’Allemagne de plus de 1.300 Milliards d’Euros de réparations…

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, tous ces traumatismes remontent facilement à la surface, et comme l’écrivait un commentateur, le « retour du tragique n’en est que plus fort ».

D’où l’étrange valse à 4 temps à laquelle on assiste tout le temps.

Bien sûr, l’Allemagne, en vertu de différents traités depuis la fin de la guerre, ne reconnait pas la légalité des revendications polonaises. D’un autre côté, que cela soit Me Baerbock, ministre des Affaires étrangères ou Mr Steinmeier, président de la République fédérale, difficile quand ils sont à Varsovie, de ne pas se confronter humblement à l’histoire.

Ce dernier d’ailleurs y était le 19 avril dernier à l’occasion de l’anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Avec le Président Duda qui avait également invité I. Herzog, président d’Israël, ils se sont recueillis devant son monument commémoratif et Mr Steinmeier a été le premier dirigeant allemand à y tenir un discours où il a rappelé la responsabilité allemande dans les souffrances polonaises et… demandé pardon.

Pourquoi alors, est-ce si difficile de reconnaître aussi qu’avec Poutine, on s’est trompé.

Ou quand on prend le train de Pologne pour aller à Kiew, de prévenir son homologue de Varsovie.

Ou quand on ne veut pas livrer de Léopards, qu’on autorise du moins les autres à le faire, sans être suspendus pendant des semaines, à une décision qui ne vient pas.

Peut-être est-ce ça, pour finir que voudraient les Polonais aujourd’hui. Être traités d’égal à égal, ainsi que le disait un parlementaire il y a peu. Il parait que la communication s’améliore…

Prochain article : Marion Gräfin Dönhoff

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