A Pâques 1989, je suis retournée en Pologne. Par le biais du Centre Pastoral Halles-Beaubourg cette fois, soit de l’église Saint Merry en plein cœur de Paris. Et pas seule mais accompagnée de ma chère amie Sophie, saint-merrienne de la première heure toujours si positive et rayonnante. Et de Marc, qui, lui, venait de ma paroisse du XVIème.
C’est intéressant d’ailleurs, car ce n’était pas la première fois que le « CPHB », dit « rouge » ( !) par certains milieux catholiques parisiens, juste parce qu’il pratiquait la cogestion et était très engagé dans les droits de l’homme en Amérique Latine, Europe de l’Est, mais aussi auprès de la communauté homosexuelle du Marais, fricotait avec « L’Assomption » de Passy, son antithèse en quelque sorte. Au contraire. Les ponts avaient été établis depuis longtemps, par le biais de mon ami Pierre, responsable de l’Accueil musical, puis de Perrine et Pascal etc… Comme quoi.
Aussi, quand au début 1989 il avait été question d’organiser un convoi de transport de médicaments et autres en direction de la Pologne, avec Sophie, nous avions cherché un homme de bonne volonté, capable d’assurer et tout de suite pensé à Marc, le chic type d’entre les chics types. Le cœur sur la main, et ses mains d’autodidacte sachant tout faire ou presque… Très rapidement, effectivement, il allait s’avérer l’homme de la situation…
Nous voilâmes donc partis.



A l’époque, la Pologne était en pleine ébullition, et comme toujours depuis le début des années 1980, montrait le chemin aux pays de l’Est, encore opprimés par la chape de plomb du communisme. En février de 1989 en effet, le général Jaruzelski, sous la pression de la rue et de Solidarnosc, avait entamé des négociations avec le syndicat de Walesa, pour essayer d’apaiser la situation. Incroyable. Il aurait pu tout aussi bien laisser faire les chars russes, mais peut-être avait-il compris que l’on n’était plus en 1968 et que le coup de Prague c’était du passé.
Je ne sais pas mais toujours est-il que quand nous sommes partis, les Polonais étaient toujours en train de discuter autour d’une « Table ronde » dont l’objet était, entre autres, l’instauration d’élections semi-libres et d’un parlement plus démocratique. Le PC polonais daignant accorder 35% de la représentation nationale à des non communistes : une vraie révolution.
Un vent de liberté soufflait donc et si le passage des frontières n’était toujours pas plus insouciant, il était quand même moins flippant que cinq ans auparavant.
La Pologne elle, tout comme l’Allemagne de l’Est, suait la pauvreté. J’ai par exemple toujours le souvenir très net, de cette odeur pénétrante de charbon qui imprégnait les alentours des sites industriels et des villes que nous traversions. Le souvenir de Cracovie, cette perle du sud, dont les murs étaient littéralement noirs de suie et dans les rues de laquelle, il n’était pas rare, encore, de voir passer un cheval tirant sa carriole de combustible destiné au chauffage des habitants.
Le souvenir aussi des routes départementales pavées.
N’est-ce pas Sophie ? Je crois qu’à l’époque, elle n’avait pas encore le permis, et si moi j’en étais détentrice (ah, ah, ah !), je n’avais strictement aucune pratique et n’étais pas franchement décontractée même si je ne voulais rien laisser paraître. Toujours est-il, qu’alors que c’était mon tour, – Marc légèrement crispé à mes côtés – sur une de ses fameuses routes départementales pavées, tout à coup, dans une bonne descente, quand j’ai voulu ralentir, rien ne s’est produit. Mais rien hein. J’avais beau appuyer sur le frein, notre camionnette, lourdement chargée, devenait au contraire de plus en plus alerte, prenant de plus en plus de vitesse, et tout le monde s’est mis à crier !!!!! Freine ! Débraye ! Fais quelque chose ! Et là, moi complètement dépassée, naturellement, Marc… a repris les choses en main et réussi à nous arrêter!
De fait, les freins avaient lâché (quelle chance pour moi ou plutôt quitte pour la peur pour tous !) et s’il n’avait pas été là, nous n’aurions pas pu continuer, perdus que nous étions, en pleine campagne polonaise ou d’Allemagne de l’Est, ce qui revenait à peu près au même à l’époque en termes de pièces détachées.



A partir de là, Marc, bien sûr (!) sera notre seul conducteur : pour nous emmener d’abord à Mielec, une ville du sud-est de Cracovie, aux tristes HLM si typiques de l’Est et où la communauté à qui était destinée une partie de notre cargaison, était en train, à coup de dons et d’échafaudages en bois, de construire une église comme toujours démesurée. Puis dans une autre paroisse de Varsovie où là, nous retrouverons le correspondant de St Merry, qui parlait un admirable français, voire quelque peu châtié comme au XVIIIème siècle, à la manière de Custine et de son « Voyage en Russie » qu’il aimait à citer.
Mais aussi mon amie Ania dont le sourire aujourd’hui, tout comme celui de Sophie, illumine le visage et n’a pas changé.
A Varsovie, par l’intermédiaire de cet homme dont j’ai oublié le nom, à moins que cela soit par celui de Ania ou de son père, nous avons même eu la chance, absolument incroyable, de participer à une des conférences de presse de Solidarnosc, certainement pour annoncer la fin de la Table ronde et les ouvertures politiques à venir.
Je crois que l’on ne se rendait pas compte de ce que nous étions en train de vivre. Personne certainement. Car même si ce n’était qu’une conférence de presse, rien que d’y participer, pour un Polonais, restait très dangereux. Alors la suite ?
C’était Pâques cependant et tout à coup il s’est enfin arrêté de pleuvoir.
Sur le chemin de retour, le cœur léger et les freins réparés, nous écoutions ou chantions à tue-tête dans notre camionnette « Être né quelque part » de Maxime Le Forestier qui était le grand tube de l’année.
Il faisait beau et on s’est arrêté en plein champ, pour pique-niquer ou jouer au badminton.




Même le mur de Berlin, par laquelle nous sommes rentrés, paraissait légèrement plus gai.
Trois mois plus tard, les élections polonaises sonnaient définitivement le début du glas de Jaruselski.
En juin, la Pologne avait le premier gouvernement non communiste de tous les pays de l’Est depuis 1945, déclenchant une vague d’immigration en provenance de RDA.
En octobre, le mur de Berlin tombait.
Chère Valérie, Encore une fois (comme dans le chapitre précédent, le premier sur la Pologne), c’est du pur Valérie, et c’est tellement intéressant ET agréable à lire ! Témoignage sur une époque, vécu humain, non sans humour… Merci pour ce nouveau petit régal. J’ai de tes nouvelles par tes copines, j’admire ton endurance. « Tomber six fois, se relever sept » était le titre d’un livre paru il y a longtemps, que je n’ai jamais lu, mais le titre m’avait impressionnée. Je te souhaite bon courage, donne-moi de es nouvelles, dis-moi si je peux t’aider d’une façon ou d’une autre. T’embrasse Cécile
Merci Valérie, pour ces deux articles sur mon pays et sa route vers la liberation du communisme et ses effets. Le pape Jean-Paul II est un personnage clé dans ce processus qui est toujours en cours. Ce pape est aujourdhui violemment attaqué a l’intérieur même de la Pologne par des forces contraires a la raison d’état polonais. Ceci illustre combien il est difficile pour une nation de se remettre de la destruction physique, matérielle et spirituelle, en l’occurrence, réalisée notamment pendant la 2e guerre mondiale par les deux systèmes hostiles a l’humanité: le communisme et le nationalsozialismus.