1984 : pélerinage Varsovie – Czestochowa en Pologne

En 1984, après avoir passé le bac avec d’étonnants bons résultats (pas ceux du contrôle continu j’entends!), j’ai été prise dans la foulée en classe prépa. Cela m’arrangeait beaucoup car me permettait de repousser d’un an ou deux l’épineuse question de mon orientation professionnelle, tout en continuant à étudier la littérature et l’histoire. Parfait! Du coup, j’avais aussi devant moi de longues vacances d’été insouciantes à passer et, ayant gagné un peu d’argent, du haut de ma majorité et de mes succès, je déclarai à la maison que je partais en Pologne. Pas seule bien sûr, mais avec un groupe de la paroisse d’à côté, même si je n’y connaissais personne sauf une autre Valérie. Et pour faire officiellement, le pélerinage de Varsovie à Czestochowa. Ce qui était vrai d’ailleurs, mais à l’époque, un peu risqué on va dire.

Si avec la guerre actuelle contre l’Ukraine, tout à coup, l’impérialisme russe s’est en effet rappelé à notre souvenir, nous montrant combien la paix que nous vivons depuis 1945 en occident est fragile, à l’époque, nous étions parfaitement conscient de cette fragilité. La Pologne, ou disons plutôt le peuple polonais, narguant alors depuis des années le pouvoir communiste en place.

Il y avait eu les grèves des chantiers navals de la Baltique, suivies de la création de Solidarnosc et des accord de Gdansk en 1980. La déclaration de l’Etat de guerre par le général et président Jaruselski, suivie de l’arrestation de Walesa un an plus tard (et de près de 10 000 autres personnes), puis sa libération… Surtout, l’année d’avant, en 1983 donc, ce dernier avait reçu le Prix Nobel de la paix et le Pape Jean-Paul II, avait fait un de ses quatre voyages dans sa terre natale, plaidant toujours et encore, pour « l’autodermination » des individus, la démocratie contre l’autoritarisme. Appelant à ne pas avoir peur.

L’opposition au communisme montait donc en puissance, la Pologne montrait le chemin, et curieuse de voir derrière le rideau de fer, je voulais aussi aller à l’encontre des Polonais et leur marquer une certaine solidarité en faisant la seule chose que je savais faire depuis que j’étais gamine : marcher.

Ce fut effrayant. Du moins le début.

Aujourd’hui, tous les enfants de mes amis (et les miens) sont nés largement après 1989, et donc il est difficile, voire impossible pour eux, d’imaginer ce que c’était que de passer derrière le rideau de fer. Et encore moins d’y vivre. Peut-être étions nous « boosté » à la peur, mais non, c’était définitivement terrifiant.

A la frontière de la RDA, il fallait attendre des heures dans un environnement de barbelés et les Vopos (pour Volkspolizei) aux visages fermés, contrôlaient bien sûr avec minutie tous les passeports.

Rebelotte à la frontière polonaise, voire d’autant plus, puisqu’il était clair que notre car de « pélerins » ne venait pas pour prendre le thé avec Mr Jaruselski.

Arrivés à Varsovie, nous avons tous été dispatchés pour quelques nuits dans des familles d’accueil, et c’est là que j’ai fait la connaissance de mon amie Ania. Amie pour la vie.

Ania, déjà, avait ce large sourire aux lèvres qui jamais ne la quitte et éclaire tout son visage d’une joie sincère. Surtout, elle parlait déjà un admirable français, ce qui était plus que précieux dans le contexte, puisqu’elle nous accompagnait partout, ayant la gentilesse de tout nous montrer et nous expliquer. Avec elle, et un petit groupe qui s’est peu à peu constitué, nous avons au début visité Varsovie et ses alentours. Je crois même me souvenir que sommes allées à la maison de Chopin, à 45 kms à l’ouest de la capitale.

Celle-ci, entièrement reconstruite après la seconde guerre mondiale (cf dernier article de la série), était déjà très belle en son centre et l’est encore plus aujourd’hui. Ah la voie royale et ses bâtisses du XVIIIème siècle qui, parallèlement à la Vistule, mènent au coeur de Varsovie! Ah, la vieille ville justement, sa place du vieux marché, ses fortifications et son Palais royal.

En 1984 cependant, celui-ci n’était pas fini d’être rénové et abritait entre autres, les forces anti-émeutes du gouvernement. Or, ses acolytes, les fameux Zomos, quadrillaient la ville, et, nous avons dû apprendre à nous faire discrets. A maîtriser nos faits et gestes, à être avares de paroles. Etre avec un étranger, pour Ania, n’étant alors pas anodin.

Une peur certaine régnait.

Elle disparut cependant, quand nous entamèrent le pélerinage donc.

Près de 250 kilomètres séparent Varsovie de Czestochowa en Silésie, site que depuis le moyen âge, les Polonais considèrent comme leur capitale spirituelle. En son centre en effet, un monastère et surtout Jasna Gora, la Madone noire, à qui, dit-on, on doit d’avoir repoussé à maintes reprises des attaques d’étrangers, impies qui plus est (protestants), et comme en témoignent les balafres sur sa joue.

Quand je la revois aujourd’hui, je la trouve un peu triste, mais belle et sereine. Inspirant la paix.

Depuis plus de quatre siècles, la Pologne lui est consacrée et régulièrement re-consacrée, et chaque année pas moins de 4 à 5 millions de pélerins, venus de 80 pays, s’y rendent pour demander son intercession.

Coeur religieux, elle a donc aussi été longtemps le coeur de la liberté politique des Polonais. C’est ainsi là, que s’engagea Karol Wojtyla dès 1936 à oeuvrer pour une Pologne nouvelle. C’est là aussi, qu’il s’était rendu bien sûr l’année d’avant, son blason étant depuis qu’il avait été évêque de Cracovie « Totus tuus ».

Le chemin pour y aller en une semaine et y arriver le 15 août, était donc non seulement spirituel, mais hautement politique. Un acte de résistance et d’espoir. Et sur la route, ce n’était pas mille mais jusqu’à 40.000 personnes qui s’y retrouvèrent !

C’est d’ailleurs, la première chose qui me vient à l’idée quand j’y repense. Cette foule. Immense. Gigantesque. Tous ces gens, la plupart polonais, souriants, confiants et patients. Car le problème dans ce contexte, n’était pas tant de faire 20 à 30 kilomètres par jour, mais d’abord de démarrer en absolu. Et d’arriver à notre prochaine halte!

Généralement, après avoir dormi – mal – dans nos tentes, nous nous levions vers les 4 heures du matin. Après ce qui s’appelait un petit déjeuner (!), on se recueillait et chantait. Priait, méditait. Et puis commençait l’attente. L’attente de pouvoir partir puisque la première colonne devait se trouver à des kilomètres devant nous, et qu’avant qu’elle fasse ses premiers pas, on ne pouvait rien faire d’autre que de patienter. Attendre que cela soit notre tour de nous ébranler.

De fait, la journée était ponctuée trés souvent de ces « stop & go », et je crois que c’est surtout cela qui était fatiguant. Car quand nous arrivions le soir, nous étions claqués et il fallait encore monter les tentes, faire un peu à dîner etc…

Durant cette marche, ce ne sont donc pas non plus les occasions de discussions qui ont manqué. On avait le temps pour ainsi dire! Notre petit groupe, depuis Varsovie, ne s’était pas dissous, mais au contraire plutôt resserré, et c’est là que j’ai fait la connaissance d’Emmanuel, qui quelques années plus tard deviendra mon beau frère. De Marie-Pierre aussi que j’ai retrouvée l’année dernière et qui est toujours en contact avec Pierre de la photo jointe, tout devant. Et d’Ania donc, dont nous aurons encore l’occasion de parler.

Moi qui aime la campagne, j’ai aussi beaucoup aimé celle que nous avons traversée. Qu’il s’agisse de grands champs, de leurs meules de paille ou de foin. De sous-bois ou de landes telles qu’on en trouve dans cette europe centrale et continentale, où, en août, le soleil s’abat sur vous plus qu’au bord de la méditérranée.

J’ai aussi aimé saluer les habitants qui tout au long du chemin nous encourageaient. Nous distribuaient des fruits, de la « compote » ou nous désaltéraient pour nous encourager.

Une fois, un mariage a été célébré au sein même de notre colonne et tout le monde y fut invité. C’était bon et bien.

Et puis un jour, nous avons fini par arriver. Harassés, mais heureux et libérés.

Encore une fois, aujourd’hui, tout cela peut paraître dérisoire. Quoi que. Mieux que nous les Polonais savent le prix à payer pour la liberté.

A Czestochowa, nous fûmes pendant quelques heures tous rassemblés. C’était la mer. Beaucoup d’émotions. De ferveur et de communion.

Le 19 octobre de la même année, soit deux mois plus tard, le prêtre Jerzy Popieluzsko, aumonier de Solidarnosc, était assassiné.

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