Le mois dernier, alors que je repensais aux années lycées donc, si lointaines et si proches en même temps, tant elles ont façonné ce en quoi j’ai cru pendant des années avant que mon monde ne s’écroule comme un château de cartes, une mélodie m’est revenue en tête. Et depuis, ne cesse de se rappeler à mon souvenir. Celle d’une chanson de l’époque bien sûr, soit de Marie Laforêt et qui commençait gentiment sur un air enjoué : « Lorsque nous étions encore enfants, sur le chemin de bruyère, tout le long de la rivière, on cueillait la mirabelle, sous le nez des tourterelles » et surtout son refrain « Anton, Ivan, Boris et moi
Rebecca, Paula, Johanna et moi »… Car de fait, ces années Lycée, furent surtout celles de l’aumônerie, là où était la vie et mes amis.
Comme déjà dit, on venait de déménager et naturellement je ne connaissais personne dans notre nouveau quartier, exceptée Véronique, ma camarade d’infortune de la rentrée. Nous avions tout de suite sympathisé, et quand il s’avéra que nous voulions aussi toutes les deux continuer le « cathé », on ne se quitta plus et… on ne quitta plus non plus l’aumônerie qui devint, avec plus tard le groupe jeune de la paroisse d’à côté, notre lieu de vie exclusif !
Quand j’y repense, c’est tout bonnement incroyable ce que nous avons vécu là-bas, et ce notamment grâce à des adultes merveilleux d’engagement, de générosité et de bonté. Car, quand on a douze ans, d’abord, il faut des adultes pour vous encadrer et donner le « goût » à. Et là je pense naturellement et en premier lieu, à Millette, la mère d’une de mes toujours amies Géraldine, une autre dame qui était permanente et dont j’ai malheureusement oublié le nom ainsi qu’à Jean-Louis de Fombelle, notre aumônier et responsable de la pastorale des jeunes du quartier. Mais, je pense aussi aux garçons plus « agés » (de trois ans ouah ! JF, Marc, Pierre, les « Christophe » et puis Bruno), qui, déjà, formaient un groupe très soudé, parfois étaient nos « moniteurs », et surtout ne cessaient d’intriguer les gamines que nous étions !
Très vite, avec « Véro » on a été de toutes les parties. Mais de toutes hein ! Après-midi du mercredi, prières du jeudi matin à 7 heures, WE dans des monastères, à Taizé, camps d’automne en Normandie, et d’hiver dans les Alpes, quand ils n’étaient pas annulés au dernier moment sans raisons par ma mère et où je rencontrerais mon ami Matthieu, devenu chanteur lyrique avec qui je suis toujours en contact, etc… Rien que de très bien sage dans un premier temps, car nous étions toutes les deux sages effectivement, bien élevées, voire trop bien élevées et de ce fait timides et peu libérées, voire complexées. Elle, je ne sais pas en fait, elle souffrait d’être enfant unique et d’avoir une mère qu’elle trouvait trop âgée, mais moi, c’est clair, vu ce qui se passait à la maison, je la fermais.
Nous avons eu des phases très mystiques en tous les cas, allant jusqu’à nous mortifier à coup de jeûne pendant plusieurs carêmes d’affilés. Et ce, jusqu’à un certain « Frat », pour « fraternel », qui, à Pâques 1981 rassembla des milliers de jeunes à Lourdes. je crois, que, même si depuis quelques années je ne « pratique plus » l’Evangile, je connais les quatre dans tous leurs coins et recoins.
J’avais fait une grosse dépression l’hiver de cette année-là, ne parvenais pas à me sortir de ma mélancholie et mes idées noires. J’étais effondrée par mon attitude, peu aidante pour se faire des amis. Je ne me sentais pas intégrée, pas drôle, pas rien, pas tout ! Comme une petite ado, attifée d’un appareil dentaire qui plus est, peut se sentir à cet âge ! Au retour du Frat, j’attrapai une grosse grippe, et dans mes délires enfiévrés, je pris des résolutions ! Celles de ne jamais me plaindre (même si je ne le faisais qu’en mon for intérieur), de ne jamais parler de moi (ce que je ne faisais pas non plus quoi qu’il en soit), de taire toute émotion négative et de toujours sourire, écouter et essayer d’aider quand je le pouvais ! D’appliquer la règle d’or des Evangiles qui dit dans le texte de « faire aux autres ce que l’on aimerait qu’ils fassent pour vous ». Bien m’en a pris pendant des années et des années – jusqu’à tomber sur des personnes mal éduquées ou intentionnées qui me dirent que j’étais « naïve » mais en ont bien profité! -, notamment celles qui suivirent directement.
Car elles furent belles effectivement !
Les « Gospels » en tournée
Nous étions de grand.e.s « ados » maintenant. Avec Véro, et d’autres rares amies du Lycée – Géraldine, Dorothée – qui allaient encore à l’aumônerie, c’est surtout alors à travers le groupe jeunes de la paroisse de l’Assomption que le deuxième élan fut pris. Grâce à Jean-Louis, notre prêtre qui chapeautait les deux donc, et de François Xavier, un homme seul d’une cinquantaine d’année qui, sans jamais parler de son passé (il avait « divorcé », mais à l’époque et dans ce milieu, cela ne se disait pas) le secondait. Très efficacement. Quel binôme ils formaient ! Avec d’un côté FX, pragmatique et fonceur. De l’autre Jean-Louis, qui passait pour un doux rêveur. Mais ne l’était pas. Toujours est-il, que les 4 ou 5 années qui suivirent, ils surent à eux deux, nous entraîner dans la formidable aventure des « Gospels », des spectacles que nous montions chaque année différemment, et qui pour la semaine sainte, racontaient la vie et la passion du Christ. Que de talents n’ont-ils pas révélé ! Tout était écrit et fait « maison ». Les textes, les dialogues et récitatifs, les chansons, les décors, la mise en scène etc… Et tout le monde s’y mettait, aidé que l’on était en plus, par un metteur en scène averti (du groupe théâtre de la paroisse, qui recrutait également dans notre groupe « jeune »), et dont beaucoup de petits enfants sont aujourd’hui artistes eux-mêmes.
L’été, nous partions en tournée. Qui de la Bretagne, puis de la Vendée où je me rappellerais toujours le coucher du soleil sur l’église romane de Talmont, seule, près de l’Océan.
Il faut se l’imaginer ! Une troupe de vingt jeunes, faisant de la pub sur les marchés, guitare en bandoulière, pour appeler le public à les suivre dans des spectacles religieux !
Et ça marchait ! Pour les adultes « encadrant », quand j’y repense, que de foi, de conviction et d’altruisme, il fallait ! Sans compter, une bonne dose de sang-froid, car ce ne sont pas les histoires d’amour qui s’y faisaient et s’y défaisaient qui ne manquaient !
Nous étions portés et portions aussi visiblement. En tous les cas, sur les photos, tout le monde rit !
J’aimais beaucoup Jean-Louis et l’aime toujours beaucoup, me réjouissant chaque fois que j’apprends qu’il est encore en vie, même si, depuis la pandémie, je n’ai pas trouvé ou pris le temps d’aller le voir à Paris, où, bien qu’il soit à la retraite, il est naturellement toujours actif, infatigable messager de cette Bonne Nouvelle qui le prit un jour de sa jeunesse, alors que fiancé, il était Stewart sur un paquebot nommé…France.
Jean-Louis
Rêveur ? Oui, peut-être. Je dirais plutôt contemplatif. Car JL, très ouvert, à l’écoute, toujours bienveillant et profondément aimant, avait, sous ses airs tête en l’air (que l’on aimait bien taquiner), le don d’entraîner et de faire confiance, de déléguer, tout en restant lui-même, sachant se retirer pour s’isoler, méditer et toujours nous ramener, par des mots simples, sans fioritures et envolées dogmatiques, au message essentiel des Evangiles, qui n’est fondé que sur l’amour. Et oui, je crois, sur la responsabilité que nous avons dans ce message d’amour. Je me suis bien plantée depuis 2014.
Il pratiquait le Yoga. Le lever du soleil. Aujourd’hui, tout cela est banalisé, mais à l’époque, cela ne l’était pas et paraissait un peu incongru. Surtout pour un prêtre catholique. Il était trés sensible, et sujet parfois à des phases dépressives que je ne connais que trop bien. L’année dernière, dans un de ses messages, il m’a écrit cette phrase que j’ai retenue et que je fais mienne aussi quand je marche sur le chemin de Saint Jacques ou les chemins : « Rien de plus utile pour le monde, qu’un homme qui se tient en silence devant Dieu ».
Après « nous » si je puis dire, JL a été muté à la Sorbonne. Puis aux Batignolles. Puis…. Toujours, il a su reconstruire autour de lui, des équipes de jeunes (et moins jeunes), enthousiastes et engagées. C’était un vrai don. Mais dans la douceur. Comme quoi, il n’y a pas besoin de jouer les hussards pour fédérer.
Quelques années plus tard, alors que j’avais fini mes études et travaillais déjà, je me suis immiscée dans un de ses groupes pour un pélerinage de 15 jours en Israël. Cela fut une grande expérience. Celle du désert. De la terre ocre et qui brûle aux confins du Sinaï. Du Neguev et du chemin de Jéricho. Du lac de Genesareth et de Capharnaum. De Jérusalem, de la mosquée El Aqsa, du mur des lamentations et de l’Eglise de la résurrection. Et je n’ai qu’une hâte : y retourner.
Plus tard encore, c’est lui qui nous maria avec CK. Mais c’est une autre histoire, dont je ne veux pas parler.
Mais revenons à nos Gospels donc, et le formidable élan qu’elles ont engendré !
Parmi les amours qui s’y nouèrent, beaucoup furent durables d’ailleurs, et si, aujourd’hui, j’ai perdu de vue la plupart de ses camarades d’alors (Véro non), beaucoup se sont mariés et partent, toujours, chaque année une fois en vacances tous ensemble. Quelle troupe ! Si l’on ajoute les enfants et petits-enfants depuis, à raison d’au minimum 3 par couple et jusqu’à huit, cela fait monter rapidement vers la cinquantaine si ce n’est plus !
Certes, il y avait à l’époque une grande homogénéité sociale, de type haute bourgeoisie parisienne du XVIème et donc l’endogamie a battu son plein. Mais pour autant, si moi j’avais des problèmes avec cela (à cause de mes origines sociales donc et du milieu familial), jamais, au grand jamais, on ne m’a fait sentir quoi que ce soit, ni exclue en rien. Au contraire ! Combien de fois ai-je été invitée ici et là, même si parfois je devais dire « pas possible » sans pouvoir m’expliquer ? Et je ne suis pas la seule à avoir été dans ce cas !
Tous les samedis soir, nous les passions en tous les cas au bowling, ou à danser, dans je ne sais quel grand appartement de je ne sais qui, que les parents, discrets, avaient désertés. Les vacances, en dehors de nos Gospels itinérantes, c’étaient chez les uns et les autres ! Plus tard, un « pont » sera construit entre ce groupe et l’Eglise Saint Merry, où, à compter de mes dix-huit ans et par l’intermédiaire de Pierre, je trainerais aussi mes guêtres pendant 10 ans. La belle vie quoi !
Depuis, je suis toujours en contact, rarement certes mais sûrement, avec Véro, ma très chère amie, Géraldine, Jean-François etc… qui, tous, ont gardé les valeurs et la foi de cette époque, qui nous ont formé pour la vie.
La semaine dernière, Marc, un « transclasse » comme moi, dont je reparlerai bientôt, m’a écrit quelques lignes qui sonnent si justes et parlé de la « bienveillance qui caractérise cette communauté ». Que tout ce que « nous avons vécu alors n’aurait pas de sens » dans un monde où la « vacuité morale » est parfois si affligeante, si on ne continuait pas à le faire vivre encore.
Et il a bien raison.
Merci.
Ps : prochain numéro : la Pologne, d’hier et d’aujourd’hui
Chère Valérie, Quel plaisir, de te retrouver sur ton blog ! De nouveau, tes descriptions sensibles, et tes remarques pertinentes… Je te souhaite très bon courage, et je t’embrasse Cécile