Pierre Pasquier, mon professeur de violon

Vers huit / neuf ans, tandis que ma sœur faisait du tennis ou autre chose, j’ai émis le souhait d’apprendre un instrument de musique, le violon très concrètement.

Je ne sais pas d’où m’est venue l’idée. On n’écoutait pas de musique à la maison, ou de la « pop ». Peut-être fut-ce à l’issue d’une représentation de Casse-Noisette de Tchaïkovski où nos parents nous avaient amené à Noël et dont j’étais sortie en larmes par tant de beauté.

Toujours est-il que j’ai émis ce vœux, et pas un autre.

A la maison ça allait mieux, et bien qu’indisciplinée j’avais de trés bons résultats scolaires. Ma mère commença donc à se renseigner auprès de sa clientèle et, oh bonheur, trouva un ancien altiste, qui accepta de me prendre en charge.

De fait, cet « ancien altiste » était un artiste très célèbre, issu lui-même d’une famille de musiciens et avait d’ailleurs formé avec deux de ses frères un trio à cordes connu dans le monde entier. Il était également marié à une violoncelliste et pianiste dont il eut 4 fils.

Trois reformèrent plus tard et à leur tour un trio à cordes qui fut tout autant célèbre. L’aîné, pourtant aussi pianiste, se décida en revanche pour l’histoire de l’Art et devint Conservateur au Musée du Louvre.

Monsieur Pierre Pasquier, puisque c’est son nom, devait avoir à l’époque, d’après mes impressions, dans les 75 ans. Ou peut-être non.

Dans le regard d’un enfant, on est toujours très vieux. Moi, là, j’ai plus de 55 ans, et dans cinq ans, je serai « bonne » pour la retraite en France. Je passerai du côté des vieux.

Peut-être donc, n’avait-il pas 75 ans, mais juste 60 ou 65. Rien en somme ! C’est juste en revanche qu’il s’était mis à la retraite de ses activités concertantes. Bien lui en fasse, car il y a des musiciens, qui, comme beaucoup d’autres, ne savent jamais s’arrêter. Et là, je pense à Yehudi Menuhin, qui, il faut bien le dire, s’est acharné au-delà du raisonnable.

Mr Pasquier habitait une grande maison avec jardin dans notre faubourg très chic. Dès que qu’on m’ouvrait la porte, tout ne sonnait que musique. Sa femme, un peu extravagante, fantasque, donnant soit un cours de piano ou de violoncelle, les « enfants » (déjà adultes) répétant à un des étages de cette maison de ville qui en avait trois.

Je suivais alors mon « maître » dans son bureau attenant à leur chambre à coucher conjugale, et invariablement, avant que l’on commence le cours, nous vaquions à d’autres activités. Je pense qu’il me prenait pour la « petite fille » qu’il n’avait pas encore eu.

D’abord, il me montrait ses derniers dessins, car en sus de tout le reste, c’était un excellent dessinateur et aquarelliste.

Ensuite, il s’occupait de mon violon, le nettoyait et le polissait avec ce vernis ou cire dont l’odeur m’enivrait littéralement. Enfin, il enduisait de colophane les crins de mon archet et l’on pouvait commencer : gamme, exercices techniques, morceau.

Quand on avait fini, on redescendait au RDC et là, suivant les occasions, je pouvais être amenée à exercer d’autres occupations comme : ratisser le jardin avec lui, éplucher des légumes avec sa femme dans la cuisine et surtout écouter cette dernière donnant une leçon, ou jouant exprès pour moi du Bach au piano me demandant ensuite ce que j’en pensais. Malheureusement, un jour, à la vue de la partition noircie de croches et doubles croches, j’ai paniqué et dû répondre : « il y a trop de notes je trouve » ce qui l’a laissé pantoise car elle me regarda d’un air étonné. Nous n’étions pas des mêmes milieux sociaux.

Pour autant, c’est indubitablement dans cette maison que j’ai fait la connaissance de la « musique ». J’y allais les mercredi ou jeudi après-midi, et souvent y restais jusqu’au soir. Mon professeur était comme un grand-père pour moi.

Las, je n’étais pas très studieuse. Au début si (la force de l’enthousiasme), puis moins régulièrement (même si mon chien hurlait vraiment à mort quand je jouais, cela n’était pas la seule raison), puis presque plus du tout entre deux leçons, parce que j’avais vraiment du mal avec les doigtés et la justesse, avais pris de mauvaises habitudes de tenue et donc me décourageais. Plus tard, j’ai basculé sur le chant, car en revanche, j’avais l’oreille juste et chantais de même.

Il ne m’en tint jamais rigueur, pas du tout, mais triste, il l’était certainement, ayant sans doute pensé qu’il aurait pu faire quelque chose de moi.

Il avait dû aussi comprendre que je n’avais strictement aucun soutien à la maison, ni aucun encouragement.

Un jour, alors que je lui disais que nous étions allés à un concert le WE avec mes parents, il est devenu radieux et m’a demandé « lequel ? ». J’ai répondu : « le show de Sylvie Vartan à la Porte Maillot, c’était fantastique ». Il m’a répondu « Ah bon ».

Je crois qu’à partir de là, il a en quelque sorte abandonné mon éducation musicale. J’allais bien chez lui toutes les semaines, mais il savait que j’avais peu travaillé et qu’inlassablement nous allions répéter, ce que nous avions déjà fait la semaine d’avant, sans avoir vraiment progressé.

L’année où nous avons déménagé, il m’a offert quelques-unes de ses aquarelles et une photo de lui à l’âge de sa célébrité avec de gentilles dédicaces. Celles-là sont toujours accrochés à mes murs aujourd’hui et quasiment tous les jours, me font penser à lui.

J’ai continué pendant un an à faire les trajets jusque chez lui, mais comme c’était assez loin, j’ai fini par m’inscrire au conservatoire de mon nouveau quartier. Là, le solfège ça allait encore, mais ma nouvelle professeure de violon était très mécontente de mon niveau, de ma tenue, me bousculait (ce qui était son rôle). Je me suis mise à travailler beaucoup plus, mais rien n’y fit. J’avais pris trop de mauvaises habitudes, jouais trop souvent faux, ai raté mon examen et donc arrêté.

C’est grâce à lui cependant, à elle, à cette famille artiste si extraordinaire, leur bonté, que dès lors je n’ai cessé de m’intéresser à la musique.

En chantant dans des chorales.

En suivant au lycée quasi seule (!), l’option qui y était proposée pour le BAC que j’ai passée en chantant justement l’air « Gute Nacht » de Bach.

Peu à peu, je me suis constitué moi-même un répertoire en achetant des 33 Tours de Chopin, Brahms, Mozart, Purcell, Bach….

Plus tard, par le biais de mon premier petit ami, je me suis impliquée dans une association qui organisait dans l’Eglise Saint Merry à côté de Beaubourg, deux concerts gratuits tous les week end et ce, dans le cadre de sa pastorale d’ouverture au monde et d’accueil de tous, quelles que soient leurs motivations. J’y suis restée presque dix ans.

Pendant dix ans, cela fut ma joie et ma raison de vivre. J’en fus même quelque temps responsable, bénéficiant en échange d’un logement gratuit en plein cœur de Paris, ce qui me permettait d’aller trois fois par semaine au moins à d’autres concerts et surtout à l’opéra avec toute ma clique de « musicos » d’alors. Des copains de Sciences Po, où fait à travers des stages. Un ami de toujours, entre temps baryton reconnu.

C’est là aussi, que j’ai rencontré celui qui devint plus tard mon mari et je pense que c’est « grâce » à Mr Pasquier que je l’ai épousé. En écrivant cela, je me rends compte en effet du formidable « transfert » que j’ai dû faire à l’époque, et ce, sans m’en rendre compte, car ce « mari » était naturellement musicien, mais il avait aussi la « stature » de mon ancien maître de violon. Très grand, mince. Aujourd’hui, il a aussi vieilli, mais l’on peut sans conteste dire qu’il a une certaine prestance, ce qui, ajouté à ses dons musicaux, sa virtuosité, lui confère un statut olympien.

Difficile cependant de vivre avec un Dieu.

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