Madame Maria, la cuisinière du commerce

J’ai plus de six ans maintenant.

Mes parents vont mieux et tiennent un commerce sur une avenue aux proportions démesurées où j’aime bien faire du patin à roulettes, tirée par mon chien, qui, mis au défi, court devant moi comme un dératé.

Dans l’arrière-boutique, œuvrait une femme, que l’on ne voyait jamais hors de ce domaine si particulier.

Madame Maria, c’est comme cela qu’on l’appelait, avait déjà un certain âge, quand elle a commencé à s’occuper de nous à la sortie de l’école. Entendez, le midi surtout.

Petite et légèrement voutée déjà, elle devait être guadeloupéenne ou martiniquaise ou peut-être même d’origine haïtienne, en tous les cas avait une peau d’ébène qui ne trahissait aucun métissage, et la tête toujours enturbannée d’un foulard qui ne la quittait jamais. Comme là-bas en quelque sorte et cette femme ci-dessous.

De son histoire, je ne sais rien. Mais rien. Juste qu’elle était célibataire et avait toujours travaillé comme bonne à tout faire dans plusieurs familles, et donc là, comme cuisinière pour le personnel du commerce (6 personnes au moins, sans les enfants). Toute sa vie parisienne, elle a habité la même chambre de bonne, certainement au plus de 10 m2, au sixième étage sans ascenseur et comme il se doit, les toilettes sur le palier.

Elle arrivait tôt à son travail (et je pense que son travail, le service aux autres était toute sa vie), parce que les employés commençant très tôt et travaillant dur, vers 7 heures ou 8 heures du matin, avant que la boutique n’ouvre, il fallait leur offrir un petit déjeuner substantiel.

On a peine à le croire aujourd’hui, mais « petit déjeuner », cela ne voulait alors pas dire baguette et confiture, mais un vrai repas, avec de la viande etc…

A midi, c’était alors le tour des enfants – ma sœur et moi- pour le déjeuner avant de repartir pour l’école.

Souvent on avait droit à des menus spéciaux, notamment moi, qui toujours plus ou moins anorexique, avais besoin de « fer », de vitamine « b ».  Que n’ai-je mangé de cervelles d’agneaux, ris, foie de veau et j’en passe et des meilleurs. Sans compter un dessert, car il y avait toujours des desserts, à chaque repas, comme le merveilleux pain perdu ou les dames blanches qu’elle seule savait faire à la perfection. Je l’aimais bien, elle m’aimait bien. Je n’étais pas compliquée. Aimais la regarder travailler, aider et lui poser plein de questions.

Je n’ai strictement aucun souvenir malheureux dans cette cuisine de l’arrière-boutique. Au contraire, j’y étais gâtée et pouvais jouer dans la cour attenante en attendant la reprise de l’école l’après-midi.

Après notre déjeuner, cela n’en était pas pour autant fini du travail de Madame Maria. Car de nouveau, tous les employés arrivaient vers 13 h pour manger. Puis faisaient la sieste n’importe où il y avait de la place avant de repartir travailler vers les 15 heures pendant qu’elle attaquait sa troisième vaisselle de la journée et repartait pour un autre tour consistant à cuisiner pour nous le soir.

Quasiment toute ma vie d’enfance et d’adolescente à la maison, il y a eu quelqu’un dans la boutique de nos parents qui nous préparait la plupart des repas du midi et du soir. Ce qui n’empêchait pas ma mère de rouspéter et houspiller tout son monde.

Je n’ai aucune idée de combien Madame Maria était payée. Des clopinettes certainement.

Le jour où j’ai fait ma première communion (vers 10/11 ans), en signe de son affection pour moi, elle m’a offert peut-être le seul objet de valeur qu’elle possédait.

Une énorme médaille en or massif représentant Vercingétorix sur son côté face, côté pile, je ne sais plus.

C’était un acte et un don incroyable pour cette femme, qui toute sa vie n’avait possédé que le strict minimum pour vivre ou ne pas dire survivre.

Quand nous avons déménagé, j’ai été lui rendre visite (je crois qu’elle avait pris sa retraite quoi qu’il en soit) dans sa petite chambre mansardée du sixième étage. Là, j’ai découvert, choquée, ses vraies conditions de vie, et de ce fait, l’immense modestie, serviabilité et amour dont elle avait fait preuve toute sa vie.

Oui, Madame Maria était une asservie. Elle ne s’était jamais plainte de rien ou avait peut-être parfois ronchonné compte tenu des exigences de sa « patronne ». Mais elle avait su garder beaucoup d’humanité et a toujours été d’une extrême gentillesse et générosité à mon égard. Merci !

Plus de quarante ans plus tard, quand ma mère m’a donné cette médaille de Me Maria, je l’ai vendue et à la place me suis acheté une jolie bague que je porte sur moi. Toujours. En souvenir d’elle.

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