Le Lycée Molière (1) : la classe « allemand 1ère langue »

En 1978 ou quelque chose comme cela, mes parents ont perdu leur emploi car leur patron avait vendu tous ses magasins de notre faubourg chic de Paris. Choc. Comme ils étaient cependant de très bons gérants et commerçants, il leur proposa d’acheter pour eux une autre boutique qu’ils rembourseraient régulièrement. Dont acte et nous attérîmes dans le 16ème arrondissement. Des propositions avaient été faites à Marseille et rue Monge dans le 5ème, mais ma mère, trop habituée à un certain standing grand bourgeois de capitaines d’industrie, ne voulait pas.

Naturellement, je ne sais plus quels étaient les taux d’intérêt à l’époque, mais certainement ils devaient être très élevés. La nouvelle boutique était microscopique, dans une rue adjacente à l’avenue Mozart, c »est à dire mal fréquentée, mais elle avait une bonne réputation et il ne tenait qu’à eux de l’entretenir, voire de la développer encore plus. C’était un gros pari, relevable, si on s’y investissait corps et âme. Ce qu’ils ont fait. Quelques années plus tard, elle ne désemplissait pas et la clientèle faisait la queue sur le trottoir dans la rue.

Pour ma soeur et moi, cela signifiait concrètement, changement de quartier et de Lycée. On était encore jeunes, donc cela pouvait « passer ». S’agissant de ma soeur qui apprenait le Russe, seul le Lycée janson de Sailly, rue de la Pompe, venait en question. Elle y fut trés malheureuse, et des années plus tard, quand j’y ferais moi-même mes classes préparatoire aux grandes écoles, je crois que j’ai pu alors la comprendre.

Moi, en 5ème, je fus inscrite au Lycée Molière, rue du Ranelagh, soit direct à côté. Quelle chance !

Je n’avais pas du tout aimé le Lycée Pasteur de Neuilly, où au sortir de mon école primaire si protectrice j’avais été inscrite automatiquement à onze ans, et qui de par sa dimension, les incessants changements de classes et de professeurs, m’avait laissé absente à moi même. Je me revois encore, dans le labo de chimie, avec ma blouse blanche, qui devait, il semble, me conférer un certain statut, ne sachant pas du tout ce que je faisais là. Moi qui aimait la littérature et lire jusqu’à point d’heure, à la lumière des lampadaires de la rue la nuit, je n’ai pris aucun plaisir à étudier « L’enfant et la Rivière » de Bosco. Je ne comprenais même pas ce que l’on attendait de moi.

Le Lycée Molière fut ma planche de salut !

Et j’ai le souvenir très vif de cette nouvelle « rentrée » des classes, tout simplement, parce que avec 3 « nouvelles », qui ne sachions pas où aller, nous nous sommes retrouvées ensemble devant notre salle de classe attitrée, avec du retard, et n’osant naturellement pas « frapper » à la porte, de peur de se tromper et compte tenu déjà du retard accumulé.

Parmi ces deux comparses, mon amie VÉRONIQUE, qui par la suite, deviendra mon âme soeur pendant des années, avec qui nous entretiendrons des relations fusionnelles – trop d’ailleurs – jusqu’à ce que le Lycée (à partir de la première donc), nous sépare, même si depuis, notre amitié, voguant au rythme des vagues de la vie, des choix de l’une et de l’autre, n’a jamais flanchi et demeure – de loin – encore « unanstabar’ (intangible) comme on dit en allemand .

Je crois que Véronique, n’a peut-être jamais su combien elle et ses parents m’ont sauvée, d’une vie à la maison où la violence reprit de plus belle (compte tenu de la pression économique de mes parents) et qui devint rapidement intenable. L’enfer, s’il existe.

Elle, l’aumonerie du Lycée, et ce dernier donc.

Ouvert en 1888, comme troisième Lycée pour jeunes filles de la capitale (sur 23 en tout en France), il le fut, à l’inverse de Fénelon et de Racine, loin du centre, pour des raisons d’hygiène (Passy est alors un village), et aussi pour « hameçonner » de jeunes bourgeoises, dont l’objectif n’était pas de passer le bac (qui leur aurait donné la porte vers l’Université – Les programmes l’interdisaient même), mais juste de former en dehors de l’église de futures mères citoyennes, pas trop idiotes, destinées à être les épouses convenables des »fonctionnaires de la 3ème République » (dans le texte).

Un couvent laïc

Ce qui est drôle cependant, c’est que naturellement et comme tous les lycées d’alors, il est pour autant construit à la manière d’un couvent.

Une fois le porche franchi à des heures bien définies – le portier contrôle naturellement les arrivées, ce qui peut paraître un peu militaire, mais finalement, a du bon sachant que cela protège de potentiels « Amokläufer » comme on dit en allemand, soit de fous décidés à faire une tuerie – vous passez en effet devant la cour d’honneur, exclusivement réservée au proviseur et ses invités du Ministère de l’Education nationale quand il y en a, pour déboucher ensuite sur sa grande cour intérieure rectangulaire.

Un vrai cloître en fait, puisque les salles de cours le cercle de part et d’autre sous de hautes arcades réhaussées même au premier étage lors de son agrandissement dans la fin des années 1950.

A l’origine, cette cour intérieure était divisée en trois, suivant les tranches d’âge que l’établissement accueillait. De mon temps, et même si cette division restait marquée au sol, elle n’avait dans les faits plus lieu d’être.

Quoi qu’il en soit, ce Lycée, au contraire de l’autre vécu l’année précédente, était à taille « humaine », et cela faisait du bien.

Un lycée à part quant au recrutement

Son mode de recrutement, aussi, était très intéressant.

Jusqu’en 1927 où les cours du secondaire deviennent gratuits: beaucoup d’immigrées « blanches » de la Révolution de 1917 en Russie, de « juives » naturellement interdites des congrégations catholiques d’à côté et dont toutes mourront en déportation durant la seconde guerre mondiale. Une élève écrit « les étoiles disparaissent au fur et à mesure ». Sur les 42 élèves décédées entre 1939 et 1945, 31 sont de confession israélite, les autres périssant pour faits de Résistance.

Entre 1936 et 1939, Simone de Beauvoir, qui longtemps fut une de mes égéries, et le reste encore, y exerça aussi en tant que prof de philo, et, après avoir goûté une de ses élèves – Bianca Bienenfeld – , la « refila » à Jean-Paul Sartre ! Ils recommenceront plus tard avec une certaine Olga Kosakiewicz. On passe. Car moi, ce qui me choque dans toutes ces histoires, ce ne sont pas tant les amours saphiques de Simone (elle sera renvoyée pour cela), mais cette façon absolument cynique, de profiter de jeunes femmes immigrés, éthniquement/confessionnellement dévalorisées, pour les embarquer dans leurs jeux pervers. Quand Bianca, apprendra par le biais des « Lettres au castor » le jouet dont elle fut l’objet, elle écrira, naturellement profondément blessée et furieuse son anti livre « Mémoire d’une jeune fille dérangée ».

Quoi qu’il en soit, en 1978, le Lycée Molière était resté tel qu’en « lui même ». Accueillant, dans ce seizième arrondissement hautement bourgeois, des jeunes de tout horizon social, ce qui en faisait un lycée trés hétérogène, mais « familial » si l’on peut dire ainsi. Et je sais, par une petite nièce l’ayant fréquenté dernièrement, ou par des études statistiques relevées par le prof de théâtre (puisque comme son nom l’indique le Lycée Molière pratiquait à un haut degré le théâtre) il y a quelques années que cela a perduré jusqu’à aujourd’hui.

Dans ce cadre, notre « classe » était d’ailleurs vraiment révélatrice.

Allemand première langue (!)

Comme déjà expliqué dans un billet précédent, moi, personnellement, j’avais d’abord choisi l’allemand par opposition à l’anglais, dont la prononciation me paraissait impossible. Ce n’est que bien plus tard que je m’intéresserais à ce pays, et surtout à l’aire germanophone par le biais avant tout de l’empire austro-hongrois, dont le rêve d’un espace multiculturel m’a longtemps fascinée et fascine encore. J’étais loin de savoir, que cette langue passait pour « difficile » (ce qui n’est pas plus vrai que pour une autre), donc « élitiste ».

Et bien, notre promotion, était tout sauf élitiste, au contraire ! Vraiment. Moi, déjà, je n’étais pas franchement classée haut dans l’échelle sociale. Mais il y avait « pire » que moi si je puis dire ! Nous étions vraiment une classe « melting pot » ! Et du coup trés difficile à gérer. Mais trés !

En Allemagne, les enfants sont « triés » à la fin de l’école primaire, qui ne dure que 4 ans. C’est à dire que à 9 ans, un.e instituteur.trice, décide pour vous de l’avenir de vos enfants. Personne naturellement, ne le relève jamais (de toute façons en Allemagne, personne ne relève jamais rien).

C’est ainsi, que « normalement », ma fille Clara, compte tenu de ses problèmes auditifs, aurait dû être mise sur une voie de garage… aboutissant à RIEN, ou juste bonne à faire la plonge dans un restaurant. Heureusement, on n’a pas suivi le troupeau… et lutté contre ! Encore une chance ! Aujourd’hui, elle poursuit ses études universitaires ! Un mérite, qui lui revient à elle essentiellement tant elle a lutté pour rester dans la course.

En France, vous avez le collège unique. OK, c’est peut être pas ce qu’il y a de mieux, et très inconfortable pour le corps enseignant, mais du moins, cela offre-t-il une chance à tout le monde. Vraiment.

L’allemand, langue élitiste? Pfff. Ma première année (en 5ème donc), nous avons eu la chance d’avoir une « vraie » prof, qui a essayé de nous inculquer quelques bases de la morphosyntaxe allemande. Après, cela n’a été que de charybde en Scylla.

Je ne jette absolument pas la pierre à nos professeures d’alors. En aucun cas, au contraire. Je pense que certaines étaient cependant complètement dépassées par le public auquel elles avaient à faire face. Pour ce qui est des langues en tous les cas, à l’époque, pas trop prises au sérieux par le système.

Nous étions trés cruels.

Pendant des années nous avons eu par exemple une Madame Pommier, que nous appelions naturellement « Apfelbaum ». Elle était tellement terrorisée par nous, que nous réussissions, lors de la Sainte Barbe, le 4 décembre, là où tous les élèves de classes « spé » (préparation aux grandes écoles), descendaient sur nous pour nous asperger de mousse à raser, à l’enfermer dans un placard, pour soit-disant la « protéger ».

C’était tout simplement, affreux. Pour elle, et je m’en excuse aujourd’hui.

Nous pouvions donc être trés cruels, et pour le reste, attelage de bric et broc social, nous étions aussi trés soudés. Pour le pire donc, mais aussi le meilleur. D’ailleurs, aujourd’hui encore, certains « anciens », résidents tous à Paris ou non loin de là, se retrouvent souvent à intervalles réguliers.

Plus tard, toujours dans cette matière, nous avons eu des enseignantes (jamais d’hommes), qui nous balançaient des textes sur le nazisme et le nucléaire. Personne n’avait les bases linguistiques pour ça, et les sujets étaient naturellement sans nom. On ne faisait donc que du présentéisme.

De toutes façons, toute ma « carrière » au collège et lycée, n’a été faite que de ça. Du présentéisme pour l’essentiel, excepté quelques matières ou profs qui me motivaient et dont, dans le prochains posts, je voudrais rendre hommage : à commencer par mes enseigants de français (pour la discipline), et de sciences nat (pour l’humanité).

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L’Eglise, le cathé, les communions

Et là, j’ouvre un chapitre très très important, car « L’Eglise », les évangiles surtout, ont été ma famille de rechange, d’adoption, mon espérance, ma foi, mon « idéologie » même si vous voulez, jusqu’à ce que mon monde s’effrite progressivement à partir de 2002, puis s’effondre littéralement et entièrement à partir de 2014.

Mon père était agnostique et ne s’en cachait pas d’ailleurs. Jamais il n’entrait dans une Eglise ou alors, pour des occasions de circonstances : mariages, baptèmes, enterrements. Je ne pense pas que ma mère non plus croyait, croit en Dieu, ou peut-être de loin, mais elle n’en n’a jamais parlé et n’en parlera certainement jamais, à moins que l’approche de la mort, lui fasse se poser peut-être quelques questions un peu plus profondes à ce sujet. Elle non plus n’entrait jamais dans une Eglise et n’allait jamais à la messe. Même pas celle de Noël ou de Pâques, c’est pour dire. Pratique proche ou égale à zéro.

L’Eglise pour elle, c’était surtout quelques rites de passage (communion, confirmation, mariage etc…) obligés avec des idées étranges et bien arrêtées sur le « comment cela devait se passer », le « paiement » de l’officiant ayant une importance capitale dans l’affaire. Pour ne pas dire essentielle. Voilà, cela doit être ça : elle achetait des sacrements comme on achète un gâteau.

Peu importe.

L’année où je commence à aller au catéchisme est certainement celle de mes six ans, soit de mon entrée à l’école primaire puisque les jeudis, puis plus tard mercredis, étaient libres pour que les enfants puissent recevoir une éducation religieuse à l’extérieur de l’école laïque.  J’aime bien aller au cours de cathé. Les dames qui s’en occupent, des mamans engagées de la paroisse certainement, sont gentilles, Il y a plein d’enfants, c’est gai, bruyant quand on a « récré », varié et coloré aussi. Certainement parce que, comme il se doit, nous « bricolons » des tas de trucs lors de nos séances hebdomadaires.

Pour autant, je n’en ai que de vagues souvenirs pour ne pas dire quasi aucun. Ou peut-être si, des histoires de l’ancien testament – Abel et Cain, Daniel, David et Goliath, Abraham etc…- que l’on nous raconte sur la base de Bibles illustrées pour enfants ou de bandes dessinées racontant la vie de certains prophètes, de Jésus ou de saints.

Non, en revanche, ce qui m’a vraiment marquée, ce sont les messes pour les familles du samedi soir.

Elles ont lieu à 18 h, dans la salle de spectacle de la paroisse. Je ne sais pas quand j’ai commencé à y aller, mais je ne devais pas tellement être plus âgée que mes six ans et surtout, j’y allais seule. Ce qui en soit est aussi un peu incroyable, car cela n’était pas la porte à côté, et en hiver, cela signifiait que je m’y rendais et en revenais seule dans la nuit.

Bien sûr, nous habitions donc ce faubourg très chic de Paris que j’ai déjà évoqué. L’avenue pour se rendre à l’Eglise était très large et très bien éclairée, les parisiens le samedi soir faisant encore leurs courses, mais quand même ! Laisser sa gamine en hiver rentrer à point d’heure et seule a quelque chose d’étonnant quand on y pense !

Là, cependant, il faut vraiment dire que ma mère à qui mon père avait entièrement délégué notre éducation, a toujours été très libérale dès qu’il s’agissait de l’Eglise, plus tard de l’aumônerie etc… D’une part parce qu’elle avait autre chose à faire et que du coup cela devait l’arranger de me savoir « gardée ». Puis, c’était l’Eglise justement, donc, je ne risquais pas d’y être dévergondée !

Toujours est-il que je garde un souvenir très fort de ces messes. Elles étaient organisées naturellement de manière très bon enfant, à hauteur de son public et de nos âges d’enfants ou d’adolescents justement. Le prêtre – Pierre Lochet – qui officiait et qui était aussi l’aumônier du Lycée d’à côté, avait en effet le don de nous impliquer puisqu’après les lectures, il ne disait pas de sermon, mais instaurait un dialogue avec nous. Sous forme de questions – réponses qui fusaient de nos bancs et de partout. Il faisait « cours » en quelque sorte, nous amenant avec dextérité à ce que cela soit nous qui analysions ce que nous venions d’entendre et y apportent des – nos réponses.

Et moi, j’aimais ça. Ces histoires fantastiques d’un autre temps, dans d’autres lieux, où les gens pouvaient atteindre des âges prophétiques de plus de deux cents ans ! Nous étions une grande famille, tout n’était qu’harmonie et bienveillance: Chaleureux.

Ça me rappelait l’école certainement aussi peut-être, ses rites, bien que comme nous l’avons vu auparavant, je n’ai été « bonne élève » que de manière très cyclique. Jamais en continu en tous les cas, l’idée même de « ce comme il faut » m’exaspérant profondément à vrai dire. Au Lycée cela sera pire, car en gros, mis à part quelques cours, je n’ai pas aimé du tout.

Toujours est-il que dès lors, je ne raterais jamais aucune messe pour tout l’or du monde. Et cela me poursuivra jusqu’à mes 28 ans, lors de mon départ en Allemagne, où là, je n’ai plus jamais retrouvé une communauté qui me comblait, me faisait du bien.

Par ce biais puis plus tard, par celui de l’aumônerie du Lycée de ce faubourg chic où je ne resterai qu’un an, mais y ferai ma première communion puis « communion solennelle », je développe un certain mysticisme (pas très étonnant diraient certains). En tous les cas, l’Église me donne une identité. Une « contre identité » ?

Je lis beaucoup de « vie de Jésus » et de « vie des Saints » et développe plus particulièrement une très forte intimité avec Thérèse de Lisieux qui devient une sorte de modèle et dont je rêve de suivre les pas. Tout comme elle, je « brûle » d’amour pour le Christ ( !) et souhaite moi aussi entrer dans un Carmel ( !). Un jour, en vacances chez une autre Tante, institutrice dans un village de campagne et pure républicaine soit laïcarde, quand suite à une de ses questions certainement sur mon « avenir » ou je ne sais quoi, je le lui dis, elle en tombe presque par terre et n’en croit pas ses oreilles. Pour elle, cela doit être le comble du blasphème ! Paradoxe.

Toujours est-il que je continue d’abasourdir mon entourage, car quand je fais ma première communion, pour cadeau je demande une bible illustrée et un crucifix, soit me refuse à tous cadeaux profanes. Rebelotte pour ma communion solennelle. Là, je me souviens aussi très bien avoir beaucoup pleuré car ce fut l’année où pour des raisons de sécurité, les filles ne durent plus porter de « voile » de petite mariée. Rions!

A cette occasion quoi qu’il en soit, et alors que mes parents ont invité cette fois et comme il se doit le ban et l’arrière-ban de mes proches concernés dont cette Madame Maria déjà évoquée, je recommence avec mon refus de cadeaux profanes et réitère avec la demande d’une croix en or pour ma chaîne de baptême cette fois.

Tout le monde trouve cela légèrement ridicule, ou disons exagéré, mais s’exécute, ne manquant pas cependant de sacrifier aux éternelles montres et autres gourmettes de circonstance.

Pierre Pasquier, mon professeur de violon

Vers huit / neuf ans, tandis que ma sœur faisait du tennis ou autre chose, j’ai émis le souhait d’apprendre un instrument de musique, le violon très concrètement.

Je ne sais pas d’où m’est venue l’idée. On n’écoutait pas de musique à la maison, ou de la « pop ». Peut-être fut-ce à l’issue d’une représentation de Casse-Noisette de Tchaïkovski où nos parents nous avaient amené à Noël et dont j’étais sortie en larmes par tant de beauté.

Toujours est-il que j’ai émis ce vœux, et pas un autre.

A la maison ça allait mieux, et bien qu’indisciplinée j’avais de trés bons résultats scolaires. Ma mère commença donc à se renseigner auprès de sa clientèle et, oh bonheur, trouva un ancien altiste, qui accepta de me prendre en charge.

De fait, cet « ancien altiste » était un artiste très célèbre, issu lui-même d’une famille de musiciens et avait d’ailleurs formé avec deux de ses frères un trio à cordes connu dans le monde entier. Il était également marié à une violoncelliste et pianiste dont il eut 4 fils.

Trois reformèrent plus tard et à leur tour un trio à cordes qui fut tout autant célèbre. L’aîné, pourtant aussi pianiste, se décida en revanche pour l’histoire de l’Art et devint Conservateur au Musée du Louvre.

Monsieur Pierre Pasquier, puisque c’est son nom, devait avoir à l’époque, d’après mes impressions, dans les 75 ans. Ou peut-être non.

Dans le regard d’un enfant, on est toujours très vieux. Moi, là, j’ai plus de 55 ans, et dans cinq ans, je serai « bonne » pour la retraite en France. Je passerai du côté des vieux.

Peut-être donc, n’avait-il pas 75 ans, mais juste 60 ou 65. Rien en somme ! C’est juste en revanche qu’il s’était mis à la retraite de ses activités concertantes. Bien lui en fasse, car il y a des musiciens, qui, comme beaucoup d’autres, ne savent jamais s’arrêter. Et là, je pense à Yehudi Menuhin, qui, il faut bien le dire, s’est acharné au-delà du raisonnable.

Mr Pasquier habitait une grande maison avec jardin dans notre faubourg très chic. Dès que qu’on m’ouvrait la porte, tout ne sonnait que musique. Sa femme, un peu extravagante, fantasque, donnant soit un cours de piano ou de violoncelle, les « enfants » (déjà adultes) répétant à un des étages de cette maison de ville qui en avait trois.

Je suivais alors mon « maître » dans son bureau attenant à leur chambre à coucher conjugale, et invariablement, avant que l’on commence le cours, nous vaquions à d’autres activités. Je pense qu’il me prenait pour la « petite fille » qu’il n’avait pas encore eu.

D’abord, il me montrait ses derniers dessins, car en sus de tout le reste, c’était un excellent dessinateur et aquarelliste.

Ensuite, il s’occupait de mon violon, le nettoyait et le polissait avec ce vernis ou cire dont l’odeur m’enivrait littéralement. Enfin, il enduisait de colophane les crins de mon archet et l’on pouvait commencer : gamme, exercices techniques, morceau.

Quand on avait fini, on redescendait au RDC et là, suivant les occasions, je pouvais être amenée à exercer d’autres occupations comme : ratisser le jardin avec lui, éplucher des légumes avec sa femme dans la cuisine et surtout écouter cette dernière donnant une leçon, ou jouant exprès pour moi du Bach au piano me demandant ensuite ce que j’en pensais. Malheureusement, un jour, à la vue de la partition noircie de croches et doubles croches, j’ai paniqué et dû répondre : « il y a trop de notes je trouve » ce qui l’a laissé pantoise car elle me regarda d’un air étonné. Nous n’étions pas des mêmes milieux sociaux.

Pour autant, c’est indubitablement dans cette maison que j’ai fait la connaissance de la « musique ». J’y allais les mercredi ou jeudi après-midi, et souvent y restais jusqu’au soir. Mon professeur était comme un grand-père pour moi.

Las, je n’étais pas très studieuse. Au début si (la force de l’enthousiasme), puis moins régulièrement (même si mon chien hurlait vraiment à mort quand je jouais, cela n’était pas la seule raison), puis presque plus du tout entre deux leçons, parce que j’avais vraiment du mal avec les doigtés et la justesse, avais pris de mauvaises habitudes de tenue et donc me décourageais. Plus tard, j’ai basculé sur le chant, car en revanche, j’avais l’oreille juste et chantais de même.

Il ne m’en tint jamais rigueur, pas du tout, mais triste, il l’était certainement, ayant sans doute pensé qu’il aurait pu faire quelque chose de moi.

Il avait dû aussi comprendre que je n’avais strictement aucun soutien à la maison, ni aucun encouragement.

Un jour, alors que je lui disais que nous étions allés à un concert le WE avec mes parents, il est devenu radieux et m’a demandé « lequel ? ». J’ai répondu : « le show de Sylvie Vartan à la Porte Maillot, c’était fantastique ». Il m’a répondu « Ah bon ».

Je crois qu’à partir de là, il a en quelque sorte abandonné mon éducation musicale. J’allais bien chez lui toutes les semaines, mais il savait que j’avais peu travaillé et qu’inlassablement nous allions répéter, ce que nous avions déjà fait la semaine d’avant, sans avoir vraiment progressé.

L’année où nous avons déménagé, il m’a offert quelques-unes de ses aquarelles et une photo de lui à l’âge de sa célébrité avec de gentilles dédicaces. Celles-là sont toujours accrochés à mes murs aujourd’hui et quasiment tous les jours, me font penser à lui.

J’ai continué pendant un an à faire les trajets jusque chez lui, mais comme c’était assez loin, j’ai fini par m’inscrire au conservatoire de mon nouveau quartier. Là, le solfège ça allait encore, mais ma nouvelle professeure de violon était très mécontente de mon niveau, de ma tenue, me bousculait (ce qui était son rôle). Je me suis mise à travailler beaucoup plus, mais rien n’y fit. J’avais pris trop de mauvaises habitudes, jouais trop souvent faux, ai raté mon examen et donc arrêté.

C’est grâce à lui cependant, à elle, à cette famille artiste si extraordinaire, leur bonté, que dès lors je n’ai cessé de m’intéresser à la musique.

En chantant dans des chorales.

En suivant au lycée quasi seule (!), l’option qui y était proposée pour le BAC que j’ai passée en chantant justement l’air « Gute Nacht » de Bach.

Peu à peu, je me suis constitué moi-même un répertoire en achetant des 33 Tours de Chopin, Brahms, Mozart, Purcell, Bach….

Plus tard, par le biais de mon premier petit ami, je me suis impliquée dans une association qui organisait dans l’Eglise Saint Merry à côté de Beaubourg, deux concerts gratuits tous les week end et ce, dans le cadre de sa pastorale d’ouverture au monde et d’accueil de tous, quelles que soient leurs motivations. J’y suis restée presque dix ans.

Pendant dix ans, cela fut ma joie et ma raison de vivre. J’en fus même quelque temps responsable, bénéficiant en échange d’un logement gratuit en plein cœur de Paris, ce qui me permettait d’aller trois fois par semaine au moins à d’autres concerts et surtout à l’opéra avec toute ma clique de « musicos » d’alors. Des copains de Sciences Po, où fait à travers des stages. Un ami de toujours, entre temps baryton reconnu.

C’est là aussi, que j’ai rencontré celui qui devint plus tard mon mari et je pense que c’est « grâce » à Mr Pasquier que je l’ai épousé. En écrivant cela, je me rends compte en effet du formidable « transfert » que j’ai dû faire à l’époque, et ce, sans m’en rendre compte, car ce « mari » était naturellement musicien, mais il avait aussi la « stature » de mon ancien maître de violon. Très grand, mince. Aujourd’hui, il a aussi vieilli, mais l’on peut sans conteste dire qu’il a une certaine prestance, ce qui, ajouté à ses dons musicaux, sa virtuosité, lui confère un statut olympien.

Difficile cependant de vivre avec un Dieu.

Madame Maria, la cuisinière du commerce

J’ai plus de six ans maintenant.

Mes parents vont mieux et tiennent un commerce sur une avenue aux proportions démesurées où j’aime bien faire du patin à roulettes, tirée par mon chien, qui, mis au défi, court devant moi comme un dératé.

Dans l’arrière-boutique, œuvrait une femme, que l’on ne voyait jamais hors de ce domaine si particulier.

Madame Maria, c’est comme cela qu’on l’appelait, avait déjà un certain âge, quand elle a commencé à s’occuper de nous à la sortie de l’école. Entendez, le midi surtout.

Petite et légèrement voutée déjà, elle devait être guadeloupéenne ou martiniquaise ou peut-être même d’origine haïtienne, en tous les cas avait une peau d’ébène qui ne trahissait aucun métissage, et la tête toujours enturbannée d’un foulard qui ne la quittait jamais. Comme là-bas en quelque sorte et cette femme ci-dessous.

De son histoire, je ne sais rien. Mais rien. Juste qu’elle était célibataire et avait toujours travaillé comme bonne à tout faire dans plusieurs familles, et donc là, comme cuisinière pour le personnel du commerce (6 personnes au moins, sans les enfants). Toute sa vie parisienne, elle a habité la même chambre de bonne, certainement au plus de 10 m2, au sixième étage sans ascenseur et comme il se doit, les toilettes sur le palier.

Elle arrivait tôt à son travail (et je pense que son travail, le service aux autres était toute sa vie), parce que les employés commençant très tôt et travaillant dur, vers 7 heures ou 8 heures du matin, avant que la boutique n’ouvre, il fallait leur offrir un petit déjeuner substantiel.

On a peine à le croire aujourd’hui, mais « petit déjeuner », cela ne voulait alors pas dire baguette et confiture, mais un vrai repas, avec de la viande etc…

A midi, c’était alors le tour des enfants – ma sœur et moi- pour le déjeuner avant de repartir pour l’école.

Souvent on avait droit à des menus spéciaux, notamment moi, qui toujours plus ou moins anorexique, avais besoin de « fer », de vitamine « b ».  Que n’ai-je mangé de cervelles d’agneaux, ris, foie de veau et j’en passe et des meilleurs. Sans compter un dessert, car il y avait toujours des desserts, à chaque repas, comme le merveilleux pain perdu ou les dames blanches qu’elle seule savait faire à la perfection. Je l’aimais bien, elle m’aimait bien. Je n’étais pas compliquée. Aimais la regarder travailler, aider et lui poser plein de questions.

Je n’ai strictement aucun souvenir malheureux dans cette cuisine de l’arrière-boutique. Au contraire, j’y étais gâtée et pouvais jouer dans la cour attenante en attendant la reprise de l’école l’après-midi.

Après notre déjeuner, cela n’en était pas pour autant fini du travail de Madame Maria. Car de nouveau, tous les employés arrivaient vers 13 h pour manger. Puis faisaient la sieste n’importe où il y avait de la place avant de repartir travailler vers les 15 heures pendant qu’elle attaquait sa troisième vaisselle de la journée et repartait pour un autre tour consistant à cuisiner pour nous le soir.

Quasiment toute ma vie d’enfance et d’adolescente à la maison, il y a eu quelqu’un dans la boutique de nos parents qui nous préparait la plupart des repas du midi et du soir. Ce qui n’empêchait pas ma mère de rouspéter et houspiller tout son monde.

Je n’ai aucune idée de combien Madame Maria était payée. Des clopinettes certainement.

Le jour où j’ai fait ma première communion (vers 10/11 ans), en signe de son affection pour moi, elle m’a offert peut-être le seul objet de valeur qu’elle possédait.

Une énorme médaille en or massif représentant Vercingétorix sur son côté face, côté pile, je ne sais plus.

C’était un acte et un don incroyable pour cette femme, qui toute sa vie n’avait possédé que le strict minimum pour vivre ou ne pas dire survivre.

Quand nous avons déménagé, j’ai été lui rendre visite (je crois qu’elle avait pris sa retraite quoi qu’il en soit) dans sa petite chambre mansardée du sixième étage. Là, j’ai découvert, choquée, ses vraies conditions de vie, et de ce fait, l’immense modestie, serviabilité et amour dont elle avait fait preuve toute sa vie.

Oui, Madame Maria était une asservie. Elle ne s’était jamais plainte de rien ou avait peut-être parfois ronchonné compte tenu des exigences de sa « patronne ». Mais elle avait su garder beaucoup d’humanité et a toujours été d’une extrême gentillesse et générosité à mon égard. Merci !

Plus de quarante ans plus tard, quand ma mère m’a donné cette médaille de Me Maria, je l’ai vendue et à la place me suis acheté une jolie bague que je porte sur moi. Toujours. En souvenir d’elle.

Mes ami.e.s, l’école primaire

J’écris sous la forme inclusive, car de fait, j’avais deux groupes d’ami.e.s.

D’abord des garçons qui tous deux s’appelaient Alexandre et chez qui j’étais régulièrement invitée pour passer des jeudis après-midi à jouer au « garage », aux « avions » ou je ne sais quel autre jeu masculin. Moi, cela ne me gênait pas car j’étais assez « facile » à vivre, pas peste ou capricieuse pour un sou, assez garçon manqué en somme, et j’aimais bien être en leur compagnie, dans leurs beaux et grands appartements avec leurs mamans gentilles qui nous préparaient de bons goûters.

Le deuxième groupe consistait en une famille avec 4 enfants dont 3 filles, les deux ainées bien qu’ayant un ou deux ans d’écart, étant dans la même classe que la mienne.

Nathalie et Isabelle, pour ne pas dire leurs vrais prénoms, étaient vraiment mes grandes amies. Elles avaient aussi une petite sœur Marguerite, et un petit frère dont malheureusement j’ai oublié le nom.

Chez elles, j’ai passé des heures et des heures, en semaine après l’école, certains autres jeudis et moultes samedis. J’y étais, pour ne pas dire tout le temps, cependant très souvent.

Je ne cessais de m’étonner sur leur mode de vie, tellement radicalement différents de ce qui se passait chez nous.

Leurs parents étaient médecins et actifs tous deux, très libéraux et « cools » comme on dirait aujourd’hui. Dans la journée, c’est une gouvernante qui s’en occupait naturellement. Leur appartement était aussi de type Hausmann, et beaucoup plus grand que le nôtre pour loger cette famille nombreuse. Comme toujours un long couloir desservait les chambres des enfants et nous servait très souvent d’aire de jeu préférée. Elles avaient aussi des animaux – lapins, tortue, hamster – dont il fallait bien sûr s’occuper, si ce n’est ennuyer.

On jouait à tout ce que peuvent jouer des filles pour le coup, tout en étant très émancipées par ailleurs.

En classe, nous n’étions pas en concurrence, en revanche, il est clair que faisions parties du trio de tête, y compris Isabelle, la cadette, qui malgré son jeune âge, souvent nous dépassait, le savait et que parfois, je trouvais un peu arrogante de ce fait.

Moi, de toutes façons, j’étais cyclothymique si l’on peut dire. Tout dépendait du professeur de l’année en cours. Je ne me souviens absolument pas des deux premières, mais très bien des trois derniers.

En CE2, j’ai eu un instituteur très troisième République, qui, vêtu d’une blouse grise commençait toujours ses cours par une leçon de morale à l’ancienne. Il était très exigeant, nous lançait des défis, notamment en mathématiques, ce qui moi, me ravissait. Et les récompenses, quand nous le satisfaisions, étaient vraiment passionnantes (dias animés, cours d’histoire). Nous l’adorions en fait. J’étais très bonne élève dans sa classe.

Mais il était aussi un peu sadique aussi, il faut le dire. Quand il corrigeait, penché par-dessus nos épaules, nos devoirs dans nos cahiers, à chaque faute repérée, il nous enfonçait la pointe de son stylo bic dans la tête. Pas très fort bien sûr, mais quand même ! Un jour, alors que je bavardais trop à son gré (j’étais bavarde donc), il a voulu me donner un coup de bâton sur les fesses mais du haut de son bureau, m’a « ratée». J’en ai eu une ecchymose longue et bien bleue que je n’ai pas réussi à cacher à ma mère qui a été se plaindre au Directeur. Occasion pour elle certainement aussi de se disculper de ses propres exactions, car elle ne dit naturellement jamais ce qu’elle nous faisait subir à la maison. Comme je n’étais pas aussi soignée et appliquée que ma sœur, un jour elle a abandonné le contrôle des devoirs. Tant mieux !

Je préférais faire toute seule que sous ses gifles !

Le CM1 fut une catastrophe. L’institutrice m’avait prise en grippe compte tenu du nombre de fautes d’orthographe incroyables que je faisais (et fais toujours). La pédagogie « noire » qu’elle aimait pratiquer a alors provoqué le résultat attendu. J’ai flanché, en ai fait encore plus, mais me suis rattrapée l’année suivante où, bénéficiant cette fois-ci d’un extraordinaire pédagogue, j’ai terminé 1ère de la Classe, ce qui m’a valu l’ouverture d’un compte épargne crédité de 100 FF par la municipalité !

Je pense que ma mère ne comprenait pas. Le « démon » de la famille réussissait mieux que la sœur aînée pourtant tellement sage et appliquée.

Avec mes amies filles, Je n’ai jamais eu l’occasion de partir en vacances, mais j’ai été plus qu’accueillie chez elles, et c’était un espace de liberté incroyable qui me rendait heureuse. Quand ma famille a déménagé dans Paris intra-muros, 6 ans plus tard, rapidement, nous nous sommes perdues de vue, et cela fut une grande de perte. La fin d’une certaine enfance libre, joyeuse et insouciante.

Ma grand-mère

C’était une belle femme. Même dans ses portraits de femme adulte, non aprêtée, elle a un beau profil.

Celle d’un femme grecque. Malgré le labeur et toutes les humiliations éprouvées, elle garde son beau profil « grec », une vague mèche de cheveux, sortie de son chignon tous les jours refait, balayant insidument son visage impassible et serein.

Ell est vraiment « belle ».

A 17 ans, elle est belle, à 50 ans elle est belle !

A 15 ou 16 ans, elle a été violée. Naturellement, on ne connaitra jamais les circonstances ! A Carnaval ? Par le facteur ?Par un type de passage pour la foire ?

Toujours est-il qu’à 16 ans (la deuxième année de ses règles), elle se retrouve « enceinte ». Comme sa mère, exactement en même temps, d’un second mariage d’après guerre.

Cela fait quand même un drôle d’attelage, une mère et une fille, EN MÊME TEMPS ENCEINTES, à 15 ans d’intervalles !!!

Il faut s’imaginer la situation : la mère – pauvre veuve de guerre, le mari fauché dès octobre 1914, sans le sous sans rien – se remarie (naturellement, quoi d’autre. Une femme sans mari à l’époque, était tout simplement perdue), avec un Mr, dont le frère, plus tard posant son regard sur la fille, la benjamine, qui avait été enceinte du « facteur », la demandera en mariage !

Vous voulez quoi faire, vous, en de telles circonstances!

Naturellement, elle accepte. Et mon Grand-père, un « vert galant », ne sera quand même pas tout à fait salaud car il reconnaitra ce fils illégitime comme le « sien » (merci!).

Après, il lui en fera 12 autres, sans compter ceux que l’on ne connait pas, sauf une, puisque comme je l’ai appris l’année dernière seulement, c’était un coureur de jupons qui avait au moins une amante « officielle », dont il eut aussi une fille, ce que, dans le village, tout le monde savait.

Ma GM est morte trés jeune (63 ans). Complètement usée, épuisée, par le labeur et la peine aussi certainement.

Elle avait très vite appris, que les hommes, vont « à droite » et « à gauche » restant maîtres de leur destin. Elle, avait choisi la soumission, n’ayant pas d’autre choix.

En revanche, il semble qu’elle ait été une mère aimante ! La parfaite « victime » en sorte! Aujourd’hui encore, tout le monde ne pense à elle qu’en ayant immédiatement les yeux embués. Elle supportait (malgré 13 grossesses), les incartades de son mari. Elle n’a jamais battu méchamment ses enfants, mais au contraire semble avoir été assez libérale, compréhensive. Jamais, elle ne s’est plainte, alors que tous ses enfants, la regardait « pleurer » (elle ne pleurait pas naturellement, juste se taisait), le dimanche après-midi, quand il allait chez « l’autre ».

Bien que cette famille d’agriculteurs ne soit pas riche, et encore moins quand on sait que naturellement, elle s’agrandit pour l’essentiel en pleine seconde guerre mondiale et juste après, JAMAIS, aucun de ses 13 enfants n’a manqué d’une chemise, pantalon, veste, chaussettes…

Et puis, on était à la campagne. Donc, naturellement, même pendant la guerre, personne n’a eu à manquer de je ne sais quelle brioche, tarte, quatre quart ou autre dessert. Les oeufs, les poules les pondaient, le beurre, les vaches le faisaient, et pour la farine, on s’arrangeait avec le boulanger.

Toujours, quand j’interroge sur mes origines, il y a au centre cette femme… qui visiblement soudait la famille et que tout le monde aimait puisqu’ils commencent tous aussi immédiatement à pleurer !

« On était pris comme on était. Etait immédiatement absorbé comme un des leurs, sans qu’aucune question ne soit posée ».

Et sur les photos d’époque, à plusieurs années d’intervalle, qu’elles aient été prises au temps de la moisson ou des vendanges, de fait on ne peut que constater, que tout le monde (et cela en fait une tripotée) sourit ou rit.

Hommage te soit rendu Renée.

Les « grands coutures »

Je suis née à la fin des années 60 dans la ville la plus riche de France. Mais ne vous y méprenez pas. Je ne suis pas née avec une cuillère en or dans la bouche. Loin de là. Mes parents étaient de modestes commerçants, qui venaient d’essuyer une faillite avec tout ce que cela comporte de stress pour se relever. Jusqu’à mes six ans, nous avons donc vécu dans un petit deux pièces à quatre.

Ici, je voudrais écrire le livre de ma vie. Cela peut paraître prétentieux, d’autant que je ne suis « rien », en tous les cas pas grand-chose et que je n’ai nul fait de gloire à raconter. Nulle implication dans une destinée politique ou historique majeure à expliquer. Nulle conduite morale irréprochable à présenter, nulle pensée philosophique profonde à exposer. Non. Rien.

Ou plutôt si. J’ai cru en beaucoup de choses, en beaucoup de gens, aimé vivre, rire, rencontrer, aller à l’opéra, voyager ou randonner, participer à des projets, aimé mon ex-époux plus que tout au monde, aimé mes enfants comme la prunelle de mes yeux, et, un jour j’ai chuté.

Magistralement.

Pendant huit ans.

Aussi, si j’écris ce livre, c’est je pense pour deux raisons.

  • Retourner aux sources de celle qui pendant 50 ans fut, croyait, entreprenait pour le bien des autres essentiellement et selon quelques convictions bien ancrées. Retourner aux sources des gens qui ont compté pour moi dans ma vie. Les fixer pour l’éternité.
  • Pour aider peut-être d’autres, qui comme moi, auront vécu des cassures. Des blessures si profondes qu’à l’heure à laquelle j’écris, je ne sais pas encore si jamais je m’en remettrais.

Tout s’est tellement déroulé si peu comme je l’espérais, le voulais, de toute ma foi, de tout mon cœur, de toutes mes forces, de tout mon amour, qu’aujourd’hui je ne suis plus que l’ombre de moi-même.

Naturellement, j’ai ma part de responsabilité, évidemment. Mais je jure ici aussi que quand les choses se sont produites, pour l’essentiel à l’étranger, je n’avais pas les instruments me permettant de comprendre ce qui se passait. Je ne savais pas tout simplement. Je vivais avec mes projections, mes convictions, et était dans l’incapacité totale d’analyser les jeux de pouvoir, mensonges, petites et grandes misères, refoulés de chacun qui s’exprimaient. Naïve, crédule, oie blanche : vous pourrez dire ce que vous voulez, rire peut-être, mais je ne comprenais vraiment pas ce qui se jouait.

Quand on m’a ouvert les yeux, je me suis mise à dériver. Plus mes yeux se descillaient, moins, dans le contexte qui était le mien et les énormes contraintes qui pesaient sur mes épaules, je n’ai été capable de gérer les situations.

Et cela a été la grande dégringolade.

Mais la grande, n’est-ce pas. Je suis devenue agressive, moi qui durant mes 30 premières années en France ne me suis jamais disputée avec personne. Personne. Cela ne m’en serait même pas venue à l’idée.

J’ai tout perdu ou presque de ce que j’avais mis des années à bâtir à force de « valeurs » qui n’étaient que les miennes, à force de courage, d’endurance, de générosité, sens des responsabilités et du devoir, dans l’espérance que le « grand amour de ma vie » était bien toujours le grand amour de ma vie.

Bien sûr, je parlerai de moi, mais surtout de ces autres êtres lumineux qui ont accompagné ma vie, fait ce que j’étais de bien… AVANT.

La petite enfance (0 – 6 ans)

On ne va pas s’étaler.

Avec ma sœur aînée, âgée de trois ans de plus que moi, nous étions des enfants battues. Par ma mère tout le temps, quasi tous les jours à moultes renforts de coups de martinet, de gifles, de fessées, de dénigrements, rabaissements, reproches, critiques personnelles, plaintes du fait qu’on lui rendait la vie impossible etc…

Pendant 50 ans, je n’ai jamais rien dit de tout cela. Que voulez-vous dire ?

C’est quand même la honte absolue pour qui a un peu de recul, pense un minimum. Votre mère vous martyrise, vous prend pour son défouloir, son exutoire !! Vous voulez dire QUOI ???

Rien !

D’autant que cela ne suit strictement aucune rationalité.

Cela peut vous tomber dessus, comme ça, du jour au lendemain.

Vous n’avez strictement rien fait. Au contraire, vous vous empêchez de « respirer » au cas, où cela déclencherait des avalanches de représailles !!!

Et c’est exactement ce qui se passe.

Depuis des jours, vous ne respirez plus, ne dites plus rien etc… Vous avez fini de tricoter votre pull, cela vous a pris trois mois au bas mot. Et là, quand vous pensez que tout est OK, et que vous vous êtes « tenue », n’avez plus respiré, allez pouvoir partir comme prévu chez votre copine XXX, qui vous a invitée : bein là, ça tombe comme un couperet !

Il y avait des traces de savon dans la cabine de douche ! (On les cherche, mais ne les trouve pas !. On a enlevé ses poils, nettoyé ses placards ! Tout brille, elle n’est toujours pas contente !). Sanction !

De toutes façons, il ne s’agit pas de savoir, si son four est récuré, mais de savoir comment nous humilier !

Punies !

Fini, les vacances, payées en plus par les parents des amies. 30 minutes avant.

Elle nous appelait, moi en particulier, des « têtes à claques » (dont acte), des « bonnes à rien », « écervelées », des « enculées de la culture », des « bourriques » qui lui rendaient la vie impossible. Toujours, quand il y avait des invités (ou que jusqu’en 1978 on était « invités » chez leurs « amis », qui tous après disparurent) elle se plaignait de nous. Combien nous étions un fardeau, difficiles ( ?), un poids dans sa vie pour nous « guider » sur le bon chemin, malgré toutes les charges qu’elle avait par ailleurs.

Lesquelles ?

Quand je repense à sa vie d’alors (avec moultes domestiques) et la mienne depuis que je suis adulte (sans domestique et sans domicile fixe), je ne peux que me demander dans quel délire elle se trouvait ! Quel « ego » de dingue elle avait.

Moi, je n’ai strictement JAMAIS RIEN EU DE CE QU ELLE AVAIT pour enfanter mes enfants, m’en occuper quand ils étaient petits, les accompagner durant toute leur petite enfance, enfance, adolescence, âge adulte.

Je n’ai par exemple, jamais bénéficié du « système français » ; Pas de « Halte-Garderie », même pas d’école « maternelle », pas de système fiscal sympa, mais au contraire entièrement organisé pour que les femmes restent à la maison pour pallier le manque d’infrastructures, et délester, ce faisant, le marché du travail. Du coup, je n’ai jamais eu non plus, en plus de tout le reste, aucune femme de ménage ou cuisinière.

Non pas que je les dé-considère. Pas du tout. Au contraire. Mais en Allemagne, comme rien n’était reconnu, du coup c’était vraiment réservé à des PDG.

Mon « Mari », n’était pas PDG, mais juste « classe moyenne » ou « employée ». Donc, du coup, tous les « extras » (l’école maternelle donc), était à nos frais, sans déductions fiscales.

A ce rythme, il est clair (et c’est ce qui est voulu, cela n’a malheureusement pas changé ou à la marge), que la femme reste à la maison. Parce que, tout autre chose n’en vaut pas la peine.

Non seulement vous mettez votre enfant dans de sombres institutions, dont on ne sait pas trop comment elles ont été agréées – mais en plus vous payez deux fois pour ça. Une fois l’institution, une fois le fisc.

Donc, naturellement, aucune sorte de personne normalement constituée, « continue ». Dont acte, on arrête.

Battue, nous l’étions aussi par mon père, de manière épisodique, mais avec une violence telle, qu’aujourd’hui encore, il suffise que je pense à lui (merci mon ex-mari, qui a tout fait remonté, et comment!) pour que tout de suite me revienne en mémoire la rage qu’il mettait à me tabasser dans mon petit lit cage, moi, trois ans, serrant mon dodo et hurlant, des heures étant nécessaires pour effacer la brûlure qui parcourait mes jambes, mes fesses et les rougeurs qui allaient avec.

Dans mes cauchemars les plus terribles ces dernières années, j’ai réentendu en arrière-fond, ma mère disant « arrête, tu vas l’estropier » ! C’est vraiment charmant !

Pour autant, elle jouait aussi avec ça : « si tu n’es pas « sage » – c’est-à-dire, n’existe pas, ne te manifeste pas, déjà dire j’ai envie de faire « pipi » c’est trop, du coup on fait dans sa culotte, ce qui a pour conséquence qu’on est battu pour avoir fait dans sa culotte – Papa va te battre ».

Elle le disait comme ça ! Avec ces mots mêmes. Pour nous terroriser. On l’était et parfois il le faisait vraiment. 

Il s’est arrêté net quand je devais avoir 4 ou 5 ans. Il n’a plus jamais recommencé.

Aujourd’hui, avec du recul, je pense qu’il était alcoolique sans le savoir car à l’époque, les « hommes » buvaient. Le soir. Mais dans son cas aussi le matin (son métier le faisait commencer à 4 h), lors de l’encas pris avec ses employés, et le midi peut-être certainement.

Durant notre adolescence, il ne buvait plus que le soir (enfin, de manière visible, le matin à 6 heures, je ne le sais pas). Une bonne demi-bouteille de Côtes du Rhône. Le samedi, il s’octroyait aussi un ou deux Whiskies, avant le dîner. Arrosé donc de Côtes du Rhône.

Quand j’y pense aujourd’hui, je me dis que c’était fou, mais à l’époque, c’était parfaitement accepté, socialement correct comme on dit. Pire, je nous revoie avec ma mère toutes les semaines, allant avec le « caddie » faire les courses de ravitaillement de « Côtes du Rhône » donc. On ramenait au moins six bouteilles pour la semaine. En tous les cas, les réserves ne devaient jamais manquer. Et ne manquaient jamais.

C’est peut-être une explication plausible à ses accès de rage et sa violence incroyable sur une enfant de 3 ans. Peut-être. Naturellement, l’alcool, qui bien sûr est une addiction la plus simple et la plus terrible, cache cependant à la base, un mal être immense. Une incapacité totale, non apprise, à gérer les situations. Mais enfin !

Depuis, j’ai peur des hommes. Encore plus aujourd’hui qu’hier. Des hommes allemands.

Ma mère. Elle, a toujours continué à nous battre. Tout le temps.

Elle n’a jamais fumé de sa vie. Ou une cigarette par an.

Elle n’a jamais bu de sa vie, où quelques verres à des occasions festives.

Elle voulait rester « maître d’elle-même ».

C’est-à-dire que sa violence, ses battues, n’ont aucune espèce d’« excuses », sous le fait de « drogues » puisqu’ elle le faisait en parfaite clairvoyance et possession de tous ses moyens.

Donc, elle était violente par « nature », de manière très consciente, pensée et planifiée (selon elle).

Non, bien sûr.

Il est clair, que pour faire preuve d’un tel degré de méchanceté et de destruction, il faut avoir dans son enfance, vécu des drames, qu’elle n’a jamais dits et ne dira jamais.

Mais pas forcément non plus. La plupart des enfants malmenés dans leur enfance, veulent justement ne pas reproduire ce qu’ils ont vécu, mais au contraire, donner à leurs enfants le cadre et l’amour qu’ils n’ont pas eu.

Non. Ce n’est pas que « son » enfance. D’autant qu’à force d’avoir « interviewé » un certain nombre de mes oncles et tantes, il ressort plutôt de tout ça, qu’au sein de cette famille très nombreuse, certes, en tant qu’aînée des filles, elle a dû beaucoup aider sa mère et été « placée » dès ses 14 ans, comme bonne à tout faire dans une famille bourgeoise de Reims, mais qu’à part ça, elle a eu aussi beaucoup de passe-droits, en tant que fille aînée et que les autres n’ont jamais eu justement.

Et que je te passe les cours individuels d’anglais en pleine guerre dans un village perdu au fin fond de l’Yonne.

Et que je te passe, plus tard, quand elle sera « montée » à Paris comme apprentie charcutière, les vernis à ongle payé en piochant dans le porte-monnaie de sa mère quand elle rentrait le Week-end, se la pétant sur les marches menant à la cuisine, dans sa tenue à la Marilyne, en train de faire ses « ongles », quand tout le monde autour, était affublé de nippes et occupé à traire les vaches.

Récemment, une de mes tantes m’a dit que cela avait mis en rage leur frère aîné, qui, prenant une petite fiole de vernis à ongles donc, l’avait jeté à toute volée au travers de la cour, lui demandant si elle n’avait pas « honte » de voler sa mère ?

Non, certainement pas. Je crois qu’elle ne voyait absolument pas « où était le problème ».

Je comprends qu’elle ait voulu absolument se sortir de ce fatalisme paysan, rural, et qu’ayant vécu son lot de pleurs, de rabaissements, de désillusions, elle visait plus haut, mais de là à considérer tous les autres comme des « bouzeux », avec tout le côté péjoratif que cela sous-entend, il y a naturellement quelques pas à franchir, qu’elle avait déjà franchi bien avant.

Car la vérité vraie de ma mère, toujours pour l’avoir demandé à beaucoup de gens autour de moi, c’est que dès son plus jeune âge, ou adolescence, elle était d’une indifférence aux autres, d’une ingratitude et volonté de domination qui n’avaient pas leur pareil.

Peut-être que ça venait de son père, qui maltraitait sa mère (énormément). Donc, elle voulait avoir le dessus ?

Il y a quelques années, en réunion de famille, elle nous a raconté une anecdote. La voici.

Elle avait eu je ne sais quelle « bisbille » avec une camarade d’école (que nous n’avons jamais eu – fermez la parenthèse), et pour se « venger », elle avait dégonflé les pneus du vélo de sa camarade, sans crier gare. La mère de celle-ci, s’était plainte à ma grand-mère, qui, droiture née, avait demandé donc à ma mère qu’elle présente des excuses.

Réponse de celle-ci : « pourquoi m’excuser ? Je n’avais même pas CREVE ses pneus ! ». Tout le monde a éclaté de rire.

50 ans plus tard, elle ne comprenait toujours pas « où était le problème » !

Où était le problème ?

Accalmie

Il y a eu une certaine période d’accalmie entre mes six et douze ans (elle ne faisait plus que gifler, rabrouer, critiquer) car elle était « un peu plus heureuse » dans sa vie. Quoi que. Elle nous faisait bien payer la dureté de son existence et des corvées de lessive au pressing d’en bas (comme si on y était pour quelque chose ?).

Et puis elle a redoublé de violence entre mes douze et 19 ans, année où j’ai claqué la porte, suite aussi à un de ses accès de rage, de coups de pieds, de gifles, les cheveux arrachés.

De ma mère, jamais je n’ai eu un seul compliment de ma vie. Jamais.

Que et uniquement des reproches.

Elle avait failli « mourir » à ma naissance (d’une embolie), je ne sais même pas encore aujourd’hui si éventuellement elle me trouvait un beau « bébé ».

J’avais la jaunisse. On ne s’est pas vu pendant 10 jours, après, elle m’a mis au biberon et à trois mois dans les bras d’une nourrice étrangère qui n’en avait rien à foutre de moi et me laissait vomir dans mon berceau. Elle l’a renvoyée !

Trop bien ! Et après ?

Je n’en sais rien.

J’ai encore fait une toxoplasmose plus tard et du coup elle était « fixée » sur mon poids ! J’ai dû vouloir « l’embêter», car jusqu’à mes six ans, je me suis bien appliquée à ne pas manger. Une contrariété de plus. Il y a une photo de nous deux avec ma sœur où nous sommes déguisées pour Carnaval mais surtout très tristes, éteintes. Je pense que j’ai fait ma première dépression vers 5 ans.

Anorexique à six ans, dépressive à six ans, c’est « cool » quand même !

Après, c’est une Tante qui m’a sauvée.

Ce qui est surtout sûr, c’est que je l’insupportais car je ressemblais trop à mon père.

A la maison, on ne parlait pas. Les enfants étaient priés de se taire. A table encore plus. Ou en tous les cas, de ne pas trop ouvrir la bouche.

En fait, à part « tiens-toi bien », « passe-moi le sel » où « je pourrais avoir de l’eau SVP», dans cette famille on n’a jamais parlé.

C’est certainement la raison pour laquelle je suis devenue bavarde, au contraire de ma sœur, qui elle était entièrement soumise et s’appliquait à ne pas déranger… pour ne pas se faire battre naturellement.

Quand on est enfant, on ne comprend pas l’origine de cette violence. Forcément, on se dit que comme ce sont vos parents, ILS ont raison et VOUS avez tort.

Moi au contraire, peut-être pour supporter l’insupportable, je restais riante, vivante et donc bavardais. Pour combler le silence certainement, pour gérer à ma manière la violence. Peut-être aussi parce que j’étais hypersensible et pas trop « conne », ce qu’elle a toujours voulu me faire croire, mais que l’école a eu vite fait d’infirmer.

Mais comme j’étais « vivante », « bavarde », du coup je me ramassais le maximum de baffe.

On vivait dans la terreur quotidienne. Toutes petites déjà, on a commencé aussi à lui servir de femme de ménage. En tous les cas, ça bardait si le dimanche la table n’était pas mise quand ils rentraient à 14 h de l’après-midi, et pour ne pas recevoir de torgnoles, on allait jusqu’à déplacer seules, l’immense téléviseur qui sinon, trônait sur la table à manger. Dangereux en somme. Je n’avais même pas cinq ans.

Je n’ai quasiment aucun souvenir « heureux » de cette période.

Ou si : l’autorisation exceptionnelle à aider à faire le soufflet au fromage du lundi, le tirage de la galette des rois sous la table, quelques bains avec ma sœur, quelques jeudis, où, quand elle était de bonne humeur, elle nous autorisait à sortir des jeux de créativité manuelle.

Et une Baby Sitter, une certaine Laurence, que l’on adorait par-dessus tout avec ma sœur, car, elle, était gentille.

Paradoxalement, aussi mon père, qui lors de son jour de congé, venait nous chercher à l’école, et qui sinon, n’avait jamais de temps pour nous, avait complétement abandonné son rôle parental.

Bien des années plus tard, j’ai lu dans un des nombreux livres de psychologie que j’ai avalés les uns après les autres pour comprendre mon parcours de vie, que les parents maltraitants, s’arrêtent en général vers les six ans de leurs enfants, parce qu’après, ceux-ci pourraient parler à l’école[1]. Trop cool !

Encore quelques autres souvenirs épars et après j’arrête avec ma vie. De toutes façons comme déjà dit, ma mère sera toujours infâme, avec une pause de 6 ans donc, mon père, lui, n’intervenant jamais plus pour rien, lui ayant délégué toute notre éducation et ses méthodes de dressage autoritaires et malveillantes.

A cinq ans, j’ai dû être opérée de l’appendicite et me souviens aussi parfaitement que mon réveil a été délirant. Une infirmière s’est occupée de moi. On faisait des dessins ensemble, elle était merveilleusement gentille. Après, direct, on nous a envoyé en colo pendant un mois vers Chamonix. La dernière de ma vie. A cinq ans.

Parfois, on allait chez une vieille dame, que ma mère connaissait de je ne sais où, qui était impotente et restait assise dans un fauteuil toute la journée à broder. Je trouvais cela joli, et plus tard, j’ai brodé moi-même.

Je voulais apprendre à lire, à lire…

Je ne le répéterais jamais assez : c’est une Tante et un oncle qui m’ont sauvée!

Chez eux, j’ai appris, ce qu’était « L’amour » !

Pas faire « chier » les enfants !

Les laisser libre,


[1] Isabelle Levert, Les violences sournoises dans la famille, Robert Laffont, 2016