La beauté du monde est ce qui fait vivre : Paula Modersohn Becker.

Exposition époustouflante au Schirn (Francfort) encore une semaine !

Je ne la connaissais absolument pas. N’avais jamais entendu parler d’elle à l’inverse de Gabrielle Münter, une pré-expressionniste allemande (cela va avec), que déjà j’appréciais beaucoup. Mais « elle » ? Paula ? Modersohn Becker ?

C’est par l’intermédiaire d’un petit livre en son hommage, par une écrivaine dont je me méfie (à cause de Tom), Marie Darrieussecq, que je l’ai découverte, et qui a là, écrit un petit bijou, « Etre ici est une splendeur » (P.O.L, 2016), contant donc la vie de Paula Modersohn Becker, quasi inconnue du grand public français malgré une exposition retrospective en son nom au MAM de Paris en 2016.

Le hasard fait bien les choses, car, alors même, qu’en toute innocence, je lisais ce livre (Merci Marie), comme toujours, quand quelque chose pique ma curiosité, j’ai donc « surfé » sur le nom de Paula. Et m’est apparue une exposition au Schirn de Francfort, jusqu’au 6 février 2022 (Incroyable, mais vrai!), présentant quelques unes des 750 toiles et près de 1500 dessins, qu’elle a produit durant sa courte existence de 31 ans. Les deux dernières années, ayant été particulièrement fructueuses puisque 100 toiles ont été décomptées, dont elle ne vendra en tout et pour tout que cinq durant son vivant.

Me sont apparus alors des portraits.

Beaucoup de portraits.

D’enfants. Plein pot, de manière frontale, ressérée ou de plain pied. Avec leurs traits brossés à grands coups de pinceau, bruts, des yeux agrandis, comme emplis de surprise ou d’effroi, directs, ouverts, avides ou vides. Sans aucun maniérisme. Sans aucune « pose ». Tout simplement « comme ça » dans un flot de couleurs saturées.

Et toujours, ces espèces de symboles ou d’attributs qui les accompagnent. Fleur, fruit, collier.

Beaucoup d’autoportraits aussi. Non pas qu’elle se « mire » et s’admire. Non, elle cherche un langage. Quelque chose d’autre que la peinture aurait à lui dire.

Toujours, ces traits simplifiés, ces yeux immenses. Ces nus. Ou demi-dénudés.

On a le sentiment d’être en face d’un Douanier Rousseau. D’un Gauguin surtout. (elle le découvre en même temps, tout comme Cézanne, le grand des grands).

Plus tard, nous apprendrons que cela fut la première femme à se prendre elle même comme modèle NU. A se prendre elle-même comme « Nu enceinte », ou voulu « enceinte ».

A peindre un enfant « tétant ».

C’est tellement inédit, tellement « vrai » alors qu’elle n’en n’a pas fait l’expérience, que l’on en reste interdit. Comment, une telle « chose », triviale, chassée de toutes les représentations, de tous les narratifs, a-t-il pu s’exprimer.

Merci. Très vrai.

Paula MB, est née en 1876 à Dresde, dans une famille bourgeoise sans problème; Le père d’origine étrangère, ingénieur, voyage beaucoup, est polyglotte, la mère, aristocrate, ouverte à tout, aux arts.

Quand ils s’installent à Brême, en 1888, Paula, 3ème enfant sur 7, suit donc des cours de piano et de dessin à Londres, payés par son oncle, puis à Berlin : elle travaille jusqu’à 6 heures par jour. Pour assurer son avenir cependant, elle accepte parallèlement de fréquenter une formation en vue de devenir institutrice, ce à quoi elle parvient en 1895 (19 ans !).

Mais la visite d’une exposition sur des peintres de « Worpswede », un petit village dans le Nord de l’Allemagne, où des artistes issus de l’Académie de Düsseldorf et férus du retour à la nature avaient fondé une « Colonie », la convainc de se dédier à la peinture.

Elle s’y installe, rencontre son futur mari (Otto Modersohn), et de là, effectue à espace régulier, des séjours à Paris, alors capitale des avant-gardes où elle se rend 3 fois, seule et parfois longtemps pour suivre des cours de dessins dans des académies privées (les filles sont naturellement interdites de celles publiques) et découvrir au gré des expositions d’art contemporain, Cézanne, à qui elle voue un culte alors qu’il est à peine connu : « Cézanne est un des trois grands maîtres qui eurent sur moi l’effet d’une tempête ». Le Douanier Rousseau aussi donc, et bien sûr Gauguin.

Et c’est un mérite de cette exposition du Schirn à Francfort de nous montrer que Paula (PMB), savait extrêmement bien dessiner (« J’apprends ce que c’est qu’un « genoux »). Et que par contraste, ces peintures à l’huile quasi naïves, ne sont pas l’expression d’une maladresse technique, mais au contraire une recherche artistique délibérée.

Elle s’acharne, vit de rien dans des chambres mansardées, accueille Rainer Maria Rilke, qui a épousé sa meilleure amie – Clara Westhoff, sculptrice aussi rencontrée à Worpswede, alors « élève » de Rodin (qui n’était pas élève de Rodin?) – et entretient avec lui des relations très intimes mais non consommées , qui donneront lieu à quelques uns de ses plus beaux poèmes. Notamment à l’heure de sa mort.

C’est aussi à Paris, que son destin commun avec Otto Modersohn est scellé. Il lui rend visite, avec un autre peintre de la « Colonie », doit rentrer préciptamment, sa première femme venant de décéder. Trois mois plus tard, elle l’épouse et tente, tant bien que mal à se plier aux exigences de la vie maritale et domestique, sans se cacher que ses contingences matérielles l’ennuient au plus haut point : « là, je suis dans ma cuisine en train de préparer un rôti de veau ».

Comprenant toutefois, que sans cette relation maritale elle ne peut pas exercer, elle se « range » pour ainsi dire, et entre deux séjours à Paris, retourne à Worpswede, où elle peint tout ce qu’elle rencontre. Des enfants, dont la première fille de son mari, des paysannes, des paysans. Toujours de manière frontale et non dégrossie. Son mari, peintre lui aussi mais de paysages classiques, l’admire et la soutient mais commence cependant à ne plus la comprendre. « Ses couleurs sont formidables, mais la forme? L’expression ! Des mains comme des cuillères, des nez comme des épis, des bouches comme des blessures, des visages de crétins. Elle charge tout ».

Le tableau ci-dessous fut exposé pour la première fois en 1912 en Allemagne avec d’autres de Van Gogh et Gauguin.

Elle « charge tout » mais peint aussi de somptueuses natures mortes (50 en deux ans), où, toujours dans son souci de simplifier à l’extrême, on découvre des petits poissons rouges si joliment stylisés (1907), bien avant ceux de Matisse.

Paula meurt le 20 novembre 1907, à 31 ans, d’une embollie pulmonaire suite à la naissance de sa fille Mathilde le 2 novembre précédant.

Plus tard, elle sera aussi la première femme peintre à avoir un musée dédié.

En 1993, quand les nazis prendront le pouvoir, elle sera naturellement classée « art dégénéré ».

L’exposition du Schirn l’infirme si besoin était.

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Germaine de Staël et son « De l’Allemagne » : petites leçons recontextualisées.

Ça y est, c’est parti, les hostilités sont ouvertes et les négociations prendront du temps. A peine Olaf Scholz, nouveau Chancelier de l’Allemagne était-il intronisé à la tête d’une coalition sociale-démocrate / verte / libérale, que, à l’instigation de la France qui vient de prendre la Présidence de l’UE, cette dernière proposait de classer l’énergie nucléaire dans la catégorie des énergies « vertes et durables » puisqu’elle émet zéro CO2 et permet l’indépendance énergétique de l’Europe en attendant que des millions d’éoliennes viennent meubler (polluer) nos paysages !

Vingt Dieux !

Naturellement, de quoi faire s’étrangler les Verts allemands du tout nouveau gouvernement, mais aussi ceux autrichiens, ces deux pays ayant d’ores et déjà fait savoir que cela n’était pas négociable et qu’ils opposaient leur véto.

Pas possible ! Il fallait y penser ! Où allons-nous donc ? On voit mal la France, cette grande nation jacobine et son nucléaire, produit s’il en est des Grands Corps de l’Etat, renoncer demain à ses petites et grandes plus de 50 centrales. Cela va donc durer. A deux, quoi qu’il en soit. A vingt-sept, n’y pensons pas.

La Nature ou l’âme allemande

Pourtant, au-delà de la crise climatique « actuelle » et de l’ascension politique et électorale qu’a connu depuis la fin des années 70’s le parti écologiste outre-Rhin avec le succès que l’on connait, il est bien connu normalement en France, que la Nature, avec un grand « N » cette fois, est un élément indissociable de l’âme allemande et que la dévotion dont elle fait l’objet puise ses racines dans les vieilles légendes germaniques (des Nibelungen par exemple) et l’exaltation sensitive du courant romantique né ici à la fin du XVIIIème siècle. Y toucher, c’est donc bien plus que mettre en place une taxe carbone ou pas. C’est attaquer de front un élément essentiel de l’identité germanique (battu en brèche par l’industrialisation).

Pour ceux qui n’en sont pas totalement convaincu ou qui veulent justement saisir « l’âme allemande » sous toutes ses facettes, nous conseillons fortement de lire le « De l’Allemagne », que Germaine de Staël, femme libre à l’existence publique et privée tourmentée, écrivaine et essayiste parisienne « suisse » à défaut d’obtenir la nationalité française, écrivit au début du XIXème siècle pour justement faire connaître aux Français la culture allemande et le « Sturm und Drang » dont elle était alors traversée, introduisant de ce fait dans l’hexagone le terme de « romantisme » qui connut après les avatars que l’on sait. La Nature (et les ruines médiévales) y étant entre autres sanctifiée, miroir de l’expression des sentiments d’un sujet qui ose s’individualiser. Ou médiatrice d’une vérité supérieure révélée, ainsi que le réaffirma le grand poète pré-romantique Novalis, cité par Madame de Staël à la fin de son ouvrage, et que ne contrediront pas plus tard des auteurs tels que Victor Hugo, Rimbaud, Baudelaire etc… 

Madame de Staël : l’ennemie jurée de Napoléon

Pour mémoire, Madame de Staël, qui ne parla pas que nature cependant, était la fille unique de Necker, qui, bien que suisse et protestant, fut le dernier ministre des finances de Louis XVI et dont le renvoi pour cause de sympathie avec le tiers état, déclencha la prise de la Bastille en 1789.

Née en 1766 et élevée donc dans un milieu très privilégié, Madame de Staël sera très active politiquement pendant la Révolution française et, partisane d’une monarchie constitutionnelle à l’anglaise, connaîtra son premier exil en 1793. A partir de là et toute sa vie, le château de son père à Coppet près de Genève, sera son vrai domicile et salon où toute l’intelligentsia européenne libérale défilera tour à tour.

Rentrée quelque temps après en France, elle admire et se rapproche tout d’abord du Général Bonaparte, mais lui n’a que faire des femmes, surtout quand elles sont intelligentes. Le coup d’État de 1799 la fait basculer dans la résistance. Elle commence à apprendre l’allemand.

En 1803, suite à un de ses romans défendant l’émancipation féminine contre les régressions de la Révolution et du nouveau Code civil, elle se voit cependant notifier son deuxième exil qui lui interdit l’accès à Paris et à 160 kms à la ronde.

Amère, abattue, privée de patrie et de ses cercles intellectuels, par « vengeance » si l’on puit dire, elle décide d’entamer un voyage en Allemagne, alors en plein remembrement et sous la domination napoléonienne, pour faire connaître aux Français tout ce qu’ils en ignorent, dont le Sturm und Drang, alors qu’elle est déjà connue de Schiller, Goethe & co, ce dernier ayant même traduit un de ses essais littéraire paru peu de temps auparavant.

La lecture obligée pendant des décennies

Mais elle part aussi pour faire « la nique » à celui qui deviendra empereur l’année suivante, puisque dans cet ouvrage, elle ne cesse de faire l’apologie de la « Nation » allemande, qui pourtant n’existe pas encore. Et ne doit, pour Napoléon, surtout ne PAS exister.

De l’Allemagne, sera écrit entre 1808 et 1810, à l’issue de deux voyages faits entre autres avec son amant de l’heure Benjamin Constant, et avec l’aide d’un éminent germaniste de l’époque (De Villiers) ainsi que du père du premier romantisme allemand, August Wilhelm Schlegel, dont elle fait son secrétaire particulier et le précepteur de ses 4 enfants.

Soumettant son œuvre à la censure en 1810, celle-ci raye quelques lignes anodines et donne le bon à tirer. Mais à peine l’essai est-il sorti des presses que la police politique de Napoléon le met au pilon, détruit les épreuves et notifie à Madame de Staël, son exil définitif cette fois hors de tout le territoire hexagonal, son livre n’étant jugé « pas français ». 

Bien sûr, il faudra s’armer d’un peu de patience, car les deux tomes représentent environ 800 pages, taille 10, le style, les raisonnements et références étant ceux de l’époque, soit pour nous un peu étrangers. Mais si vous n’avez jamais lu Faust dans le texte, les Brigands, Wallenstein, Kant et Leibniz et si vous n’y connaissez rien au protestantisme et piétisme, cette lecture ne peut que vous enrichir, puisqu’elle fut pendant largement plus d’un siècle, LA lecture obligée pour qui voulait en savoir plus sur nos voisins d’outre-Rhin. Et est encore responsable aujourd’hui de nombreux clichés et préjugés sur ce pays des « grands penseurs », « poètes » et « musiciens ».

Double censure

C’est bien sous l’effet d’une double censure que Madame de Staël écrit ce livre. La censure napoléonienne tout d’abord puisqu’il est naturellement hors de question à l’époque d’attaquer frontalement la politique hégémonique de Bonaparte en Europe et en Allemagne, les vexations qu’il fait subir au-delà du Rhin, les batailles qu’il y mène, les privations qu’il engendre. Dans tout l’ouvrage, jamais il n’est jamais donc fait mention directement du régime impérial ni du « tyran », mais tout est dans les comparaisons avec des figures littéraires ou entre les lignes bien sûr. Apologie de la nouvelle Allemagne naissante, le livre dans son ensemble n’est de fait qu’un négatif de l’Empire français, et en cela, la critique est claire et se suffit en elle -même.

Autocensure ensuite : difficile quand vous êtes accueillie par tout le Gotha allemand et autrichien pour écrire un hommage à leur culture, de leur tirer en même temps à boulet rouge. Du coup, toutes les remarques autres que littéraires ou philosophiques de Madame de Staël sont empreintes de ce qu’elle appelle elle-même pour être gentille, les contradictions de l’âme allemande (et qui se manifesteront malheureusement tragiquement les décennies et le siècle suivants) et de sa propre ambivalence à l’égard d’une « Nation » dont les intellectuels la fascine mais qu’elle n’aime pas vraiment non plus.

Pour autant, vous n’êtes pas obligés de tout lire et pouvez très bien ne picorer que les chapitres qui vous intéressent.

En la matière, ci-joint quelques-unes de ses réflexions issues du livre « premier » qui en 20 chapitres, tente justement de dresser le portrait anthropologique des « Allemands », et en ce sens, après Montesquieu, est considéré comme le premier essai de sociologie politique et d’ethnologie de l’aire germanophone.

Mais attention : comme de nombreux critiques l’ont fait remarquer, il ne s’agit pas d’un « reportage » car les quelques descriptions spatio-temporelles ou informations de chair et de sang qu’elle nous donne sont rares et se réduisent toutes aux « impressions pénibles » qu’évoquent pour elle la nature justement, l’immensité et la profondeur des forêts, ces plaines infinies recouvertes de neige, ces étendues de bruyères et de sables, ces « campagnes désertes » et ces « maisons noircies » qui sont « tristes » et l’écho de sa propre tristesse d’apatride.

De même si Berlin, ville nouvelle, est bien conçue, elle n’a cependant pas d’âme car pas d’histoire. Seul le Prater de Vienne, semble avoir ses faveurs, car, dans sa candeur, elle y voit le lieu symbolique où tout un chacun se promène en harmonie.

Culte de la pensée, honnêteté, lenteur et soumission

Dans ce cadre et se basant sur l’organisation territoriale et politique de l’espace germanophone, toujours très fragmenté, avec deux grands royaume (Autriche et Prusse) et de multiples autres principautés, elle en tire la conclusion que cette « division funeste » est cependant « favorable aux essais en tout genre ». La « Nation » allemande n’ayant en effet pas de « centre », de capitale où se pervertir dans de vaines mondanités comme en France, elle favorise a contrario la pensée solitaire et analytique. « La plupart des écrivains et des penseurs travaillent dans la solitude ou seulement entourés d’un petit cercle qu’ils dominent ».

Sous sa plume, que l’on peut naturellement juger naïve aujourd’hui (voire dès 1813), mais qui présente quelques vérités atemporelles, elle ne voit dans l’homme (et la femme allemande) que bonne foi, « loyauté » (un terme qui revient sans cesse), « sincérité » et « fidélité ». Le respect des normes sociales est tel, qu’elle s’extasie devant un habitant de Leipzig ayant accroché une pancarte à son pommier, priant les passants de s’abstenir d’en cueillir les fruits. Ce qui fut fait.

Trop honnête, trop introverti et plongé dans la profondeur de ses réflexions, « l’Allemand » ne saurait donc mal agir ou mentir. Il ne parle donc que s’il a quelque chose à dire de sensé, sinon se tait. Ce qui évidemment, quand l’on ajoute à cela la grammaire allemande (verbe à la fin bien souvent), interdit toute sorte de conversation à bâton rompu (interruption) et badine à la française, où le plaisir de simplement « causer » est essentiel.

« La loyauté des Allemands ne leur permet rien de semblable ; ils prennent la grâce au pied de la lettre » précise-t-elle ainsi. Et ne cache pas cependant que si cette authenticité est une vertu, converser plus légèrement lui manque terriblement.

D’autant qu’un autre trait caractéristique selon elle serait la « lenteur » (et là, on rit quand même) : « On a beaucoup de peine à s’accoutumer en sortant de France, à la lenteur et l’inertie du peuple allemand ; il ne se presse jamais, il trouve des obstacles à tout ; vous entendez dire en Allemagne C’est impossible cent fois contre une en France ». Lors de sa traversée du Rhin, ses domestiques « s’impatientent » (et s’étonnent que personne ne comprenne la langue de Molière !). Une paysanne impavide à qui elle dit alors « vous êtes bien tranquille » lui répond nonchalamment : « oui, pourquoi faire du bruit ?».

Et de se demander alors, « à quoi tient donc que la nation manque d’énergie, et qu’elle paraisse en générale lourd et bornée ? » tout en ayant la réponse. Car bien qu’elle affirme qu’il n’y a point de censure en Allemagne et que chacun peut s’exprimer dans sa province comme il l’entend (ce qui est faux), notamment en Prusse (encore plus faux, notamment son portrait de Frédéric II), elle note cependant « Il n’est point d’assemblage plus bizarre que l’aspect guerrier de l’Allemagne toute entière, les soldats que l’on rencontre à chaque pas, et le genre de vie casanier qu’on y mène », sans faire le rapprochement même s’il est bien connu, que moins un régime est démocratique, plus ses citoyens se terrent dans leur « niche ».

Ou, si: « La prééminence de l’Etat militaire et les distinctions de rangs les ont accoutumés à la soumission, la plus exacte dans les rapports de la vie sociale ». Cinq lignes plus loin cependant, par peur de sa propre ombre peut-être ou de la radicalité de son propos, elle relativise son jugement, précisant que «ce n’est pas de la servilité, c’est la régularité que chez eux l’obéissance. »

Frédéric II de Prusse

Quand enfin, le livre paru d’abord en Angleterre en 1813, puis en France en 1814, Napoléon était tombé une fois. Aussitôt imprimé, aussitôt vendu à des milliers d’exemplaires, il suscita l’enthousiasme. Pas de tous cependant : de nombreux allemands, que par ailleurs Madame de Staël énervait de par son impétuosité et ses bavardages incessants, qualifièrent l’essai de foutraque à clichés, d’erreurs et de superficialité. Goethe cependant, estima, que s’il avait paru un peu plus tôt, on aurait pu lui imputer les guerres de libération allemandes contre le Tyran, Me De Staël ayant largement contribué à l’émergence de leur identité nationale (unifiée) et la mise en valeur et promotion au-delà des frontières du « génie allemand ».

En France, comme déjà évoqué, il resta pendant des années la « Bible » s’agissant de l’Allemagne. Jusqu’à ce que le militarisme et nationalisme fou de cette dernière, pressentis mais non analysés jusqu’au bout, ne causent les dégâts et atrocités que l’on connait.

Restent cependant quelques petites leçons : fédéralisme, culte de la nature, de la pensée analytique scrupuleuse, « loyauté » et lenteur : le nucléaire « vert » n’est pas prêt de passer.