Comment en vient-on à s’intéresser à, aimer un pays ?
Me concernant, ce fut d’abord par la négative. Enfant, je détestais la prononciation anglaise (et suis toujours une grosse nouille en la matière), et de ce fait, la langue allemande me paraissait un oasis de clarté. Il n’y avait pas d’efforts à fournir. A part la prononciation du « h » naturellement, que, comme 90% des français, j’ai d’office laissé tomber, on pouvait parler normalement.
Certes les « cas » et les déclinaisons étaient un problème, mais malgré tout, il suffisait de ne pas prononcer les finales des mots et, surtout, de mettre le verbe à la fin.
Cela, c’était au collège, puis au lycée.
Du plus loin que je m’en souvienne, je n’ai eu en 5ème qu’une prof un peu structurée et exigeante, qui tenait quand même à ce que l’on parle « allemand » et pas un « français allemanisé ». Pour le reste, cela a été la grande catastrophe de l’enseignement des langues en France.
1/ De toutes façons, à l’époque, cela n’était pas « en soi » valorisé (en Allemagne, les langues vivantes valent « en points » les mathématiques)
2/ La didactique était assez archaïque. A partir de la 2nde, on n’a plus « parlé » que du nazisme ou de grands thèmes de société, alors que nous n’avions – tous – même pas atteint le niveau A2 de ce que l’on appelle aujourd’hui le « Référentiel européen commun pour les langues ». Et aucun recul, ni historique, ni sociologique, aucune maturité pour se lancer dans de tels débats, hors de notre portée.
Passons. Quand je me suis retrouvée en hypokhâgne à devoir traduire des textes littéraires de l’allemand vers le français et vice versa… je me suis ramassé des 3. Et c’était gentil (j’étais carrément nulle). Je crois qu’au concours d’Ulm, j’ai eu un « 5 ». Re-gentil. Pas souvenir d’avoir écrit un seul mot.
En revanche, j’aimais la littérature et la culture allemande. Germanophone.
Qui n’a pas à 16 ans- l’âme un peu enflammée, aspirant à des ciels plus bleus, des idéaux lointains, un esthétisme désincarné – lu avec fièvre :
- Lettres à un jeune poète, de Rainer Maria Rilke (autrichien lui)
- Les souffrances du jeune Werther et Les affinités électives de J.W. Goethe
- Tonio Kröger et Mort à Venise de Thomas Mann
Certainement, sur le fond du fond, on n’y comprenait rien et prenait tout au pied de la lettre, mais peu importe, car c’est à partir de là que l’on s’est prise à rêver de l’espace germanique. Ah, Weimar ! Ah, Vienne! Ah Münich !
Et oui, je ne regrette pas Weimar et ai des souvenirs enchantés de la maison de Goethe, son défilé de pièces toutes autrement colorées, le parc à l’anglaise de la ville, sa somptueuse bibliothèque d’Amalia, qui malheureusement a brûlé il y a quelques années.
Sans parler de Schumann, de Schubert, mon chouchou, de Bach bien sûr, des « Les 4 derniers Lieder » de Strauss et des Wesendonk Lieder de Wagner.
Et aujourd’hui encore, plus que jamais, j’aime la langue (et la littérature) allemande. Sa capacité, au mieux d’elle même, à imager le monde, ancrer son expression dans le concret (comme « Ohrwurm » ou « Schadenfreude » par exemple).
Las, plus que jamais, j’ai aussi le sentiment qu’une sorte de « hiatus » s’installe définitivement.
Entre le « fond » des choses, et le discours.
Avec, dans la vie courante, une sorte de jargon fonctionnel issu du monde anglo-saxon et technocrate, juridique, de conventions sociales bien établies faisant l’apologie du « consensus à l’allemande ».
Et la « vraie vie »