Coco Chanel : pas beau la collabo.

En ces temps de pandémie et de confinement où plus que jamais nous avons besoin de « calme, luxe et volupté » soit de se faire du bien, les semaines passées on s’est pris à rêver « chiffons ».

A rêver soie, satin, brocards, tulle, organza et autres dentelles, broderies et piqués dans les couleurs desquels on pourrait s’abîmer, que l’on pourrait toucher, caresser ou dont on pourrait se draper.

Du coup, et bien que l’on soit plutôt genre « streetwear », on n’a pas hésité à cliquer dans l’actualité sur tout ce qui passait côté haute-couture. Et plus précisément côté Chanel, née Gabrielle en 1883, dite « Coco » pour les intimes ou non, icône et mythe de la mode française dans l’hexagone et le monde entier.

Cela ne fut pas difficile à vrai dire car, 2021 est son année de jubilés – 50ème anniversaire de sa mort, 100ème anniversaire du lancement de son parfum culte le « N°5 » – honorés entre autres par l’époustouflante rétrospective de son art que lui consacre depuis octobre dernier et jusqu’en mars prochain le Musée Galliera de Paris, même si « faute à pas de chance », on ne peut naturellement visiter son exposition actuellement qu’en ligne.

Et nous revoilà repartie sur son enfance malheureuse (oui), son incroyable culot et confiance en elle quand elle monte à Paris en 1908 pour ouvrir son premier atelier de chapeau, puis sa boutique rue Cambon dans le 1er arrondissement, Deauville, Biarritz et ses marinières, sa coupe de cheveux à la garçonne, ses pantalons et robes fluides, qui tombent parfaitement, libérant la femme de ses concrets carcans, ses amours malheureux (très), ses nombreux amants…

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Et là, tout à coup, à la lecture des années « Ritz » place Vendôme, à deux encablures de sa boutique, le célèbre palace parisien où elle vécut quasi tout le temps de 1937 à sa mort en 1971, on se pince.

Ah oui, le Ritz, c’est vrai. Il s’en est passé des choses au Ritz entre 1940 et 1945 !

N’était-ce pas là où la Luftwaffe allemande avait pris ses beaux quartiers, accaparant la moitié de l’hôtel pour ses officiers et des hauts dignitaires du IIIème Reich de passage à Paris ?

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Si, bien sûr.

Goering, fondateur de la Gestapo, depuis peu seul « Maréchal de l’empire » et patron de l’aviation s’y était d’ailleurs attribué la « suite impériale », passant immédiatement commande au joaillier du coin – Cartier – d’une épée incrustée de pierres précieuses, avec laquelle il déambulait, dit-on, dans les couloirs de l’hôtel, complètement mégalomane et morphiné, robe de chambre ourlée d’hermine et pantoufles également scintillantes aux pieds pour accueillir, entre autres, des marchands d’art véreux qui lui livraient quantité d’œuvres pillées.

En sa compagnie, d’autres grandes pointures du Reich, mais aussi « la clientèle habituelle » – diplomates étrangers et célébrités – retranchée dans l’aile donnant sur la rue Cambon justement ou Chanel, si elle a fermé sa maison de couture, vend cependant encore ses parfums.

Comme la plupart des grands hôtels parisiens, si le Ritz fut en effet mis à contribution pendant l’occupation, il ne fut pas entièrement réquisitionné, son propriétaire César Ritz, étant suisse donc « neutre » et se gardant surtout de ne pas partir, sûr qu’il était alors, de ne jamais récupérer son bien.

A l’époque, le Ritz c’est 450 employés, dont 100 en cuisine sous la houlette d’Escoffier. Il faut faire tourner la boutique.

De l’autre côté donc et parmi les hôtes « privés » : Fitzgerald et Hemingway bien sûr, le duc et la duchesse de Windsor pour ne citer qu’eux juste avant le conflit. Mais ensuite et toujours une douzaine de « permanents », qui, s’accommodent fort bien de l’occupant, voire n’y restent que grâce à lui, à l’instar d’Arletty et de Chanel, qui y résideront durant toute la guerre, en compagnie de leurs amants… allemands, tous deux hauts fonctionnaires du Reich.

Le duc et la duchesse de Windsor en visite auprès d’Hitler, 1937

On passe les soirées dansantes organisées les dimanches soir, où ses Messieurs sont priés de laisser uniformes et armes au vestiaire, les notes de champagne et autre gâteries escoffières étant payées à 90% par l’état-major allemand (et les 10% envoyés à Vichy).

On passe les déjeuners d’affaires organisés toutes les trois semaines environ avec des représentants des deux parties sous la houlette notamment du gendre de Laval (De Chambrun) pour s’arranger entre soi et en bons économes s’entend. André Dubonnet (des spiritueux) un des industriels concerné, « permanent » lui aussi du Ritz, était-il le voisin de palier de Gabrielle ?

On passe Coco donc, descendant quand il faut dans un abri antiaérien agréablement aménagé, suivie ou précédée d’un serveur portant son masque à gaz sur un coussin de satin.  

On passe, sachant qu’en même temps, durant cette période on ne peut plus grise et trouble, parallèlement, de nombreux employés du Ritz dont la femme du directeur (Blanche Auzello, arrêtée et torturée plus tard par la Gestapo), cachent des fuyards, résistants et que le barman, sert de boite aux lettres pour les instigateurs de l’opération « Walkyrie » contre Hitler ou pour la distribution de faux papiers aux juifs pourchassés.

Sauf, qu’on « ne passe plus » quand on découvre en détail qui est vraiment celui qui sera le plus « long » amant de Gabrielle, qui déjà a 60 ans. De ses et leurs agissements pendant et dans l’après-guerre.

Hans Günther von Dincklage, puisque tel est son nom, de 13 ans son cadet, bel homme, grand, bien bâti, blond aux yeux bleus (quoi d’autre ?), n’est pas inconnu quand il débarque à Paris en 1933 pour prendre, en tant « qu’homme de confiance d’Hitler », la direction du département de la propagande de l’ambassade allemande.

De fait, juriste de formation, voire un temps procureur du tribunal du district de Gotha, nationaliste réactionnaire mais francophile et francophone, il a quitté l’Allemagne dès 1927 ou 1928 pour la France.

En compagnie de son épouse de l’époque, Marianne Von Schoenebeck, une « demi-juive » selon les critères plus tard en vigueur, il se fait passer alors pour un persécuté du nazisme montant, mais en fait, infiltre avec elle les milieux germanophones dissidents expatriés en France. Soit plus précisément à Sanary-sur-Mer, là où toute l’intelligentsia allemande antifasciste était rassemblée (voir autres articles). Bref, pratique l’espionnage pour le compte de Berlin ce qui sera révélé quelques années plus tard.

A Paris, à son poste d’attaché de l’Ambassade allemande, il soutient alors la presse fasciste hexagonale et poursuit son entreprise de noyautage de grandes entreprises françaises, voire même de la Sorbonne dont il veut convertir les études germaniques au nazisme.

De sa rencontre avec Coco Chanel, on ne sait pas grand-chose, mais ce qui est clair en revanche c’est qu’ils vivront ensemble au Ritz jusqu’à la fin de la guerre.  Celle-ci collaborant sans état d’âme aucun.

En 1943, elle tente ainsi de profiter des lois raciales et du statut des juifs français pour exproprier les frères Wertheimer, ses investisseurs et détenteurs à 70 % de la branche parfum de son déjà « empire ». Et de fait, on ne peut que frémir à la lecture de la lettre qu’elle envoya alors à Vichy : « Je me porte acquéreur de la totalité des actions Parfums Chanel qui sont encore la propriété de juifs et que vous avez pour mission de céder ou faire céder à des sujets aryens ».

La démarche échoua, les Wertheimer, alors exilés à New York, ayant pris leurs précautions, mais Coco ne lâchera pas et parviendra du moins plus tard à faire augmenter de manière conséquente ses royalties.

Pire, sous la houlette de Van Dincklage, elle devient agent secrète – 7124 – pseudo « Westminster », du nom d’un de ses célèbres amants d’avant, Hugh Grosvenors, « duc de », qui, dans les années vingt l’a introduite auprès de toute la jet set d’Angleterre, et est aussi sympathisant nazi. Tout comme ses proches le duc et la duchesse Windsor, habitués du Ritz donc…Mission : jouer de ses relations anglaises et transmettre au Reich toute information utile.

Plusieurs fois elle se rend à Berlin, rencontre Schellenberg le patron du contre-espionnage nazi jugé plus tard à Nuremberg, et vers la fin de la guerre tente même durant une opération dite « Modellhut » de convaincre l’Angleterre de Churchill (un autre ami) de signer un traité de paix séparé avec le Reich allemand.

Echec naturellement, qui fera qu’une fois Paris libéré, elle sera cependant tout de suite arrêtée pour faits de « collaboration avec l’ennemi ». Relâchée le même jour sur coup de fil de Churchill semble-t-il, elle fuit la France et s’empresse de rejoindre son amant – Van Dincklage – en Suisse où ils continueront leur vie de palace et vivront ensemble jusqu’en 1954.

Durant cet exil, Chanel portera aussi financièrement à bout de bras Schellenberg, qui, sorti de détention s’y est aussi exilé et surtout projette d’écrire ses mémoires… Las, il meurt avant : elle paie son enterrement.

Parallèlement, désireuse de rentrer en France maintenant que les évènements de la guerre sont « oubliés », elle négocie de nouveau avec les frères Wertheimer, leur cédant contre de plus larges royalties encore, la majorité des parts de toutes ses activités.

Ce faisant, ils l’absolvaient de ses péchés, elle pouvait rentrer à Paris, rouvrir boutique et redémarrer la dernière partie de sa carrière de styliste, qui sera marquée par ses fameux petits tailleurs en tweed et son indémodable sac 2.55.

Le 10 janvier 1971, Chanel s’éteint, âgée de 87 ans, dans cette même suite du Ritz que celle de ses amours de guerre.

Dincklage, lui, s’est depuis la Suisse exfiltré par des filières franquistes à Majorque où il finira sa vie en 1974 sans jamais avoir été inquiété.

En France, ce n’est que tardivement, soit longtemps après la parution de la célèbre biographie d’Edmonde Charles Roux sur Chanel en 1976 que ces faits seront mieux connus.

Elle n’en parlait jamais naturellement, et aux accusations d’antisémitisme ou de collaboration qu’on lui faisait, répondait, un peu à l’instar d’Arlety qui lança lors de son interrogatoire en 1945 son fameux « mon cœur est français mais mon cul est international », un plus discret « je ne choisis pas mes amants d’après leur passeport », expliquant que c’était pour libérer un neveu prisonnier…

Reste que jusqu’à aujourd’hui, ces questions sont toujours largement taboues rue Cambon.

Pas dans les pays anglo-saxons cependant où des livres à charge et documentés* ont paru ses dernières années.

Ni en Allemagne d’ailleurs où le quotidien FAZ titrait il y a 3 semaines encore : « 100ème anniversaire du N°5 de Chanel : le parfum de la collaboration » s’interrogeant sur le fait étrange qu’en France personne ne veuille vraiment savoir. Mais continuer à rêver de « calme, luxe et volupté ».

*Hal Vaughan, Dans le Lit de l’ennemi : Coco Chanel sous l’occupation, 2012
Tilar Mazzeo, 15 place Vendôme: le Ritz sous l’Occupation, 2014

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