Das Findelkind / L’enfant trouvé

A côté de chez moi, en haut de la rue, il existe un EHPAD géré par la Croix rouge, comprenez un établissement pour personnes âgées dépendantes, acronyme rendu depuis que le Corona sévit en Europe et de par le monde, malheureusement bien trop célébre. Nous sommes en Allemagne, et encore une fois, bien que notre foutu virus ait fait ici beaucoup moins de victimes qu’en Italie, Espagne et France, comme partout ailleurs, il a cependant réduit à leur portion congrue les contacts sociaux. Situation dont les personnes âgées sont alors vraiment victimes (quand elles n’en meurent pas). Sur la porte de « notre » EHPAD, il est en effet naturellement spécifié que les visites sont interdites jusqu’à nouvel ordre.

Dur dur.

Heureusement pour ces aînés, juste à côté de leur maison de retraite, se trouve un bistro, qui, de 8 h à 20 h, propose boissons chaudes et froides naturellement, mais aussi des « Kleinigkeiten » comme on dit ici, entendez « PDJ », « oeufs sur le plat », sandwich au jambon, tarte aux fruits etc… Il est devenu leur point de RDV en dehors des murs de la Croix rouge, leur « activité de sortie ».

Toute flemmarde que je suis, parfois j’y mange aussi un « croque Monsieur » (excellent d’ailleurs) et bois un Capuccino. Comme par exemple aujourd’hui.

Il fait froid, vente, la terrasse est dégarnie, mais à l’intérieur, je retrouve une Dame, dans les 90 ans, que je connais déjà, car habituée du lieu, elle y prend systématiquement un verre de vin blanc (0,2cl), ce qui fait également à chaque fois dire à la serveuse « vous y avez le droit? »… On passe outre. A quoi bon de toutes façons.

Aujourd’hui, à une table plus éloignée, une vielle dame âgée également d’au moins 90 ans, moins bien mise, ses cheveux en bataille entourant sa tête d’un halot blanc, savoure comme moi un « croque » accompagné d’une bionade. A côté d’elle sont déambulateur. De temps à autre, je l’écoute de loin. Elle se parle à elle même à haute voix, évoquant tout ce qu’elle a fait pour les autres durant sa longue vie, la guerre et le fait que toujours elle a dû travailler dur. Je la regarde par dessus le coin de ma table et tout à coup, je comprends aussi qu’elle est en train de donner des miettes de son « Croque » à quelque chose de « fictif » qui doit être assis dans son « rollator » comme on les appelle ici. Elle lui parle à voix basse, lui sourit, lui fredonne même une comptine enfantine. Elle insiste pour que son vis à vis mette bien en bouche le morceau de toast qu’elle lui tend.

La dame au verre de vin a terminé son petit rituel de midi (elle reviendra vers 17 h peut-être), se lève et en se dirigeant vers la sortie, s’arrête devant sa comparse. Entre temps, le déambulateur a été légèrement pivoté et on peut y voir un gros baigneur en plastique nu.

« C’est à vous ? Vous l’avez trouvé où? » demande la buveuse de blanc.

« C’est un enfant trouvé. Je l’ai récupéré dans la rue, sur le trottoir là-bas. Ils l’avaient laissé parmi d’autres restes de meubles et objets à jeter ».

La serveuse poursuit quelque temps cette conversation irréelle. On se demande si tout cela est vrai, où si ce n’est que simulé?

Il faudrait demander, s’immiscer… vérifier ce qui en un éclair de seconde, nous traverse l’esprit.

Ses images des « trecks » allemands à la fin de la guerre – soit ces longs convois de charettes emplies de matelas, ustensiles de cuisines, vêtements, tirés par des chevaux ou boeufs, ce long défilé d’hommes, femmes et enfant à pieds, qui durent partir en exode, fuir l’avancée de l’armée Rouge à l’Est. En 1945, onze millions d’Allemands furent en effet expulsés de Pologne ou de Tschecoslavaquie vers l’Ouest, en vertu des crimes commis par le régime nazi.

Plus près de nous, on pense aussi au quasi même récit de ces migrants d’aujourd’hui, abandonnant sur le bord du chemin, un nouveau né ou petit enfant, trop geignard ou affamé. Devenu encombrant dans tant de dénuement.

Notre vieille dame fut-elle une de ces enfants abandonnées? Ou sa famille prit-elle avec elle un.e orphelin.e de guerre? Qui berce-t-elle?

Mais peut-être affabulons-nous. Peut-être sommes-nous simplement emporté par nos propres divagations…

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