« Die Liebe am Abgrund » – « L’amour au bord du gouffre »

Juste avant de quitter Cologne « pour toujours », on s’était juré d’aller voir cette exposition temporaire actuellement en cours dans un des plus beaux Musée de la Ville et intitulée « Die Liebe am Abgrund ». Ce que l’on pourrait traduire par « L’amour au bord du gouffre »

Munch 2

Allions nous avoir le courage, après avoir vécu 25 ans « par amour » (si, si) dans cette douillette ville des bords du Rhin et qui cet été encore, malgré le Corona fait penser à une station balnéaire, de faire cet ultime pèlerinage et de fermer le ban ? Définitivement.

Oui.

Il le fallait pour ainsi dire. Alors on l’a fait. Petit tour d’une « modeste » exposition qui rassemble 9 œuvres graphiques d’Édouard Munch, et 15 œuvres de Max Klinger, un de ses contemporains allemands, moins célèbre, mais avec qui le norvégien avait un ami commun et dont surtout il s’inspira à de maintes occasions.

Édouard Munch, beaucoup le connaissent en effet, si ce n’est par son célèbre tableau, « Le cri », qu’il peignit, dit-on, alors qu’affecté de corps flottants oculaires, il avait peur de perdre la vue. Le pur effroi effectivement quand on est peintre.

Munch, essentiellement peintre justement, s’adonna cependant et de plus en plus, les années passant, à la gravure. A l’inverse, Max Klinger (1857 – 1920), moins connu des Français, fut depuis le début et jusqu’à sa mort, essentiellement un artiste graveur.

En ce début de siècle 1900, ils se « retrouvent » pour ainsi dire , quand, à travers toute l’Europe, planent sur les milieux artistiques quels qu’ils soient, les questions nouvelles de l’inconscient, de la véracité des relations humaines et entre autres de couple. Schnitzler, Zweig, Freud etc… ne sont pas loin, qui essaient de leurs côtés de comprendre eux aussi l’essence des liaisons amoureuses, de leurs jeux, souvent pervers.

Dans ce contexte, si Max Klinger ose encore l’espoir avec par exemple une œuvre onirique semée de sombres pronostics telle que « Séduction » en 1880,

Ohne Titel

Munch, lui, d‘emblée, retransmet, bien cyniquement, la violence des relations passionnelles mais aussi l’incommunicabilité fondamentale qui existe entre les êtres, sommés de choisir entre leurs pulsions narcissiques, sexuelles et une relation authentique, où les failles de chacun sont acceptées pour ce qu’elles sont, dépassées, et non exploitées à des fins de domination, de pouvoir, d’autojustification…

Du bel ouvrage, qui nous entraîne effectivement dans les « abysses » des relations dites « amoureuses », qui, même si fascinantes (le « mal » est toujours fascinant), de notre point de vue aujourd’hui, tout comme hier, n’ont cependant rien d’intéressant.

Pendant de nombreuses années nous avons appliqué une certaine « règle d’or », qui textuellement disait « Fais aux autres ce que tu aimerais que l’on fasse pour toi ». Jusqu’à ce qu’une personne « avisée » comme on dit nous explique en 2014, alors qu’on était déjà toute nue et isolée, que l’on était naïve. Entendez « idiote ». Si c’était cela les « relations humaines » … Va pour « l’idiotie ».

C’était donc « idiot » d’aimer et de donner.

C’était donc « idiot » de vouloir le bien d’autrui, de son prochain et pour cela de beaucoup se retrancher.

C’était donc « idiot » de toujours, et quoi qu’il arrive, n’avoir pour ligne de mire, que le « bien » d’autrui, d’un supposé « nous », d’un réel « vous ».

C’était « idiot ».

D’accord (on ne comprend plus rien à la « vie « ).

S’en suivit donc une « petite » période (six ans en regard de l’éternité et de nos 54 balais), de « déniaiserie », pendant laquelle, à rebours de tout ce que le « christianisme » qui n’est rien d’autre qu’un « humanisme », nous avait depuis toujours enseigné, on se remit en question. Et écouta son vis à vis : alors si peut-être effectivement oui mais je ne sais pas éventuellement mais ce n’est pas sûr il faut voir on verra demain mais ça dépend je préfère laisser les jeux ouverts ce n’est pas si grave faut voir peut-être si mais non mais oui mais non…. etc.

Comme disait un autre peintre, néerlandais cette fois, Theo van Doesburg (1883 – 1931), au début de la Grande Guerre, „J’avais mis toute ma confiance dans le supérieur et le spirituel de l’homme. Et tout à coup, je me retrouvai devant la dure réalité.  Non pas l’art, non pas l’amour, non pas la sagesse, mais des obus, des obus, des obus. ».

De la casse, de la casse, de la casse (1).

Il foutut le camp du côté de « l’abstraction », grand bien lui en fit.

Puisque l’on était « idiote », il fallait bien « déconstruire » le réel en effet. S’adonner aux jeux sardoniques de Munch. Entrer dans les « rêveries » de Klinger, pour essayer de comprendre… là, où il n’y avait rien à comprendre, rien de ce qui nous appartenait.

« Que ton oui soit oui, que ton non soit non ».

A force de se poser des questions qui n’auraient jamais dû être et ne nous appartenaient pas, on fit du coup aux autres ce que l’on n’aurait naturellement jamais voulu que l’on nous fasse, ni seulement même cru que l’on puisse faire.

L’enfer des / pour les autres.

max

Max Klinger, Träume,1880/84 (Platte), 1920 (Abzug), Radierung, Aquatinta und Kupferstich, © LETTER Stiftung, Köln

 

Mais on a tenu le « coup ». S’est accrochée à ses valeurs (« idiotes » donc). On n’a pas failli, mais beaucoup pêché pour les maintenir. Incompréhensions des autres.

Et là, Max Klinger, dont on fête outre-Rhin le centième anniversaire de sa mort (qui le sait seulement ?)- apportait tout de même une consolation avec son estampe

« Abandonnée » (ça c’est sûr, sur l’autel de « tuyaux » entre autre, de petites et grandes lâchetés). Et alors ?

Max 2

Et alors justement, on a pu aussi regarder toute sa misère en face, regarder tous ses torts, tous ses manquements, toutes ses zones d’ombre déchaînées (on voulait juste une vie aimante et « bourgeoise »), tout le mal que l’on avait fait, mais se dire quand même avec Perdican, dans « On ne badine pas avec l’amour » de Musset :

« On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »

Oui, j’ai aimé.

A mes enfants. Tous nés ici à Cologne, par « amour ».

 

(1) Il est absolument impossible de décrire les heures, les kilos d’heures, les années d’heures passées à servir ses idéaux et les autres, pour finir par se faire « casser la gueule » en bonne et due forme.

 

 

 

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