Amis français, navetteurs ou cheminots, qui soutenez, compatissez, souffrez, tapez du pied dans la rue ou sur un quai de gare vide ou êtes éventuellement coincés au chaud devant un feu de cheminée, d’ores et déjà, bon dimanche et lundi à venir !
Outre-Rhin, en ce moment, naturellement la grève générale des transports ferroviaires français est sur beaucoup de lèvres, puisque très concrètement, elle signifie que les frontières sont en quelque sorte de nouveau fermées.
Pour autant, ne vous prêtez pas à rêver d’un quelconque « modèle allemand », car en la matière, la « Deutsche Bahn », équivalent de la SNCF en France, est loin d’en être le symbole. Ou si ce n’est pour casser certaines idées reçues que vous pourriez encore avoir sur votre voisin germanique.
De fait, la « DB » est plutôt engluée en ce moment dans les conséquences des décisions ultralibérales prisent durant les années 1990/2000 et les crises managériales à répétition qui la caractérisent depuis.
Née en 1994 de la fusion des chemins de fer Ouest et Est allemand, la « DB » comme on l’appelle ici a en effet été l’objet de profondes réformes structurelles (transformations en SA, abolition du statut de cheminot pour les nouveaux entrants etc…) ainsi que d’une politique d’assainissement drastique (réductions des coûts en tous genres, suppression de lignes, politique tarifaire offensive) qui si, crise financière mondiale aidant, ne l’a pas conduit en bourse comme prévu en 2008, l’a en revanche conduit au bord de l’effondrement, du collapsus en bonne et due forme.
En cause : un déficit et retard flagrant d’investissement estimé à pas moins de 58 milliards d’euros dans le réseau et le matériel roulant. Oui, vous avez bien lu, 58 MILLIARDS d’euros.
Les effets sont alors peu étonnants.
Ce WE par exemple, une grande partie de la gare de Francfort sur le Main, ne fonctionne tout simplement pas. En cause, un problème de « caténaire » qui prendra des jours et des jours à être réparé.
Mais en fait, c’est tout le temps. Si peu que vous preniez le train outre-Rhin, vous pouvez être à chaque fois à peu près sûr que votre départ va être empêché par une annonce informant d’un « problème technique ». C’est rassurant.
A moins que votre train soit tout simplement annulé. Ce qui arrive également fréquemment. Pour ne pas dire très fréquemment.
Résultat, si la DB a quasi doublé son chiffre d’affaires ces dernières années, en quatre ans, elle a également doublé les remboursements pour cause de « retard » ou d’«annulations », le montant de ces derniers s’élevant à 54,5 millions d’euros en 2018.
Cette année, elle n’a pas réussi en tous les cas à faire baisser ce taux important, 25% des trains grandes lignes n’étant, selon ses critères de qualité internes, JAMAIS à l’heure.
Dans ce contexte, pas étonnant que, interrogés, les Allemands lui attribuent un petit « satisfaisant ». Ce qui reste gentil, voire comme d’aucuns disent, l’expression un peu schizophrénique de la relation « d’amour-haine » qui les lient à leur chère DB, car quand on consulte le compte « twitter » de cette dernière, là, plus rien ne va ! Et non pas à cause des grèves, les syndicats s’étant engagé dans le passé à ne plus en faire d’ici la fin 2021.
« Bein bien sûr ! ce fils de pute de train, reste bloqué en chemin », peut-on lire par exemple, dans sa version la plus exacerbée. On en passe et des meilleures ![1]
Plus cool : « On fait quoi aujourd’hui ? L’ordre des voitures est inversé ou l’on doit changer de quai ? Pas grave, on court ![2] »
Parfois, les « Train Manager » sont compréhensifs et tentent de faire de l’humour. Vous entendez alors des messages comme « Chers passagers, comme vous pouvez le constater, nous sommes arrêtés ». Ou « Ding, dong. Message important » (la sonnette est cassée).
En règle général cependant, le service de Communication de la Compagnie, répond de manière impassible, essayant d’être « sachlich » comme on dit ici, un mot sensé signifier « objectif » mais qui de fait veut plutôt dire « neutre » : « Si vous avez froid, informez-en le personnel de bord », « Si l’odeur des toilettes vous importune, peut-être devriez-vous changer de place »… ce qui conduit à des dialogues parfaitement absurdes, les usagers se sentant naturellement provoqués.
Bon. Mais on continue.
En juin, le nouveau directoire de la DB a rendu public un plan stratégique pour les dix prochaines années nommé « Starke Schiene » (« Pour un rail fort »). Au programme, le renforcement de la flotte des véhicules, des investissements dans le réseau, une politique tarifaire révisée avec pour objectif le doublement du nombre de passagers d’ici 2030.
L’Etat, lui, dans le cadre de son « paquet climat » s’est engagé à verser dans les dix prochaines années pas moins de 51,4 Milliards d’euros à la compagnie pour ses infrastructures. Ce montant doit encore être entériné par le Bundesrat, la chambre haute du parlement, et, accessoirement l’Union européenne, mais parle pour lui-même.
En attendant, et comme dirait toujours la DB : « Nous espérons que vous avez tous pu bien démarrer la semaine et prenons congé pour aujourd’hui. A demain ! ».
[1] https://www.zeit.de/2018/34/deutsche-bahn-beziehung-kommunikation-twitter
[2] https://www.twitterperlen.de/voellig-abgefahren-die-besten-tweets-ueber-die-deutsche-bahn/
https://youtu.be/wXjhszy2f9w