Et dire qu’on cherchait des nains de jardin ! On a été servie !
Début septembre, sur invitation d’une amie qui co-manage l’évènement, on a eu la chance de pouvoir visiter à Cologne une foire professionnelle consacrée au jardinage et jardin sous toutes ses coutures.
Cela nous intéressait : les fleurs, la verdure, l’idée de nature. Éventuellement, on voulait savoir aussi donc, si les fameux petits nains que l’on trouve dans de nombreux jardins ouvriers ou de devant de maisons bien proprettes outre-Rhin, évoluaient un peu. S’actualisaient. Enfin, on était simplement curieuse d’expérimenter « life » ce qu’est une « Messe » autre que celles consacrées à des machines-outils ou produits high tech par exemple.
On n’a pas été déçue. Mais submergée et… estomaquée au sens propre du mot.
Avec plus de 2100 exposants de 60 pays différents, le salon en question est en effet le premier à l’échelle mondiale et occupe chaque année pas moins de 11 halles du site de la foire de Cologne. Soit en gros les trois quarts de sa surface disponible. Oh là, là, par où commencer !
Totalement néophyte, gentiment, on s’est rabattues avec une autre amie sur le département « meubles de jardin », puis, sur celui de la « décoration ».
Ah, on y était bien ! Pots en tous matériaux, de toutes tailles et couleurs ! Petites bottes en caoutchouc sympa, vaisselle vintage, fauteuil en rotin non traité et petit grill mexicain malin ! Et des fleurs, des fleurs, même si pas de nains en vue…
Une heure plus tard, déjà fatiguées, notre hôte nous rejoignit et, après avoir dévoilé l’ampleur de son « bb », décida de nous montrer les halles les plus intéressants. Ou spectaculaires, au choix. Après être passées devant celui des plantes vertes (oh non, encore une heure ?), des produits d’entretien (oh non, encore…), du « tout pour l’apiculture » (oh non,…), on arriva dans celui des coups de cœur design (OK) et surtout des « barbecues ».
Et là, ce fut le choc ! On était où ? Parce que là, il n’était plus question de « petits grills mexicains malins », ou du barbecue sur pieds du Lidl ou Aldi d’à côté, mais de monstres électriques ou à gaz tels ceux-là.
Mais c’est pour qui, pour quoi, pour où ?
Les yeux écarquillés devant une centaine de ces objets, on avance et les écarquille encore plus quand on passe à côté du stand de « Beef ! ». Rien que le nom déjà, nous fait sursauter !
Là, en bas d’un petit amphithéâtre de quelques gradins, une sorte d’émission TV genre « Top chef » est en train de se dérouler. Derrière le comptoir cuisine, des hommes, quasi tous au look « hipster » comme on dit ici, ou « bobo » – barbe soignée, anneau ou chevalière au doigt, tatouage sur biceps musclés – cuisinent. Et se commentent mutuellement tandis qu’un caméraman zoome sur des filets (de poisson cette fois) en train de rissoler dans une poêle en acier.
Le mieux étant l’ennemi du bien, on apprend ce faisant qu’une goutte d’huile d’olive, une pincée de romarin, sel marin et poivre pimenté sont le nec plus ultra. D’accord, on n’y aurait pas pensé.
« Beef ! tu ne connais pas ? », nous demande une de nos accompagnatrices ? C’est le dernier attribut de la virilité des hommes ici ! Un « play-boy » version cuisine !».
Ah, très bien, non, on ne savait pas. Depuis si !
Lancé en Allemagne en 2009 d’après très exactement ce concept marketing, « Beef ! Pour les hommes qui ont du goût ! » vole en effet depuis de succès en succès.
Destiné à des cadres supérieurs, ce bimensuel haut de gamme à douze euros le numéro et tiré à plus de 60.000 exemplaires, peut se targuer en effet de proposer aujourd’hui à son lectorat plus de 300 produits sous la forme d’une boutique, de cours, d’évènements culinaires, d’une émission télé et d’un restaurant ouvert en mai dernier à Francfort, la « city » de l’Allemagne de l’ouest.
Au programme : un tiers de recettes de viandes (mais pas que), un tiers de reportage, notamment sur la chasse d’espèces incongrues dans des pays non moins saugrenus, la manière d’abattre les « proies », puis de les préparer, rôtir ou griller, et enfin un tiers d’articles life style.
Le tout assaisonné de photos à la mise en scène érotique léchée et de titres aux jeux de mots intraduisibles, mais très souvent sexistes pour ne pas dire porno.
Exemple : en 2009, le numéro de lancement affichait en couverture une côte de bœuf crue avec la légende suivante « Prends-moi ».
A l’intérieur quoi qu’il en soit, d’incessantes photos de femmes lascives, se languissant d’une entrecôte grillée, d’un tournedos sauce au poivre, un verre de grand cru à la main, bien sûr.
Ce positionnement et ces provocations sont parfaitement assumés par la rédaction, qui, essentiellement composée de femmes d’ailleurs, veulent inviter notre pauvre homme du XXIème siècle, totalement désorienté, à réactiver ses instincts primaires et à réinvestir un terrain qu’ils n’auraient jamais dû abandonner aux femmes. Que vivent donc les viandes crues, le plaisir du touché et tripoté, les abats étalés sur un marbre (« il faut que tout sorte »), les couteaux et coutelas en tout genre que l’on se délecte d’aiguiser…
En tous les cas, ça marche !
A tel point d’ailleurs, qu’en 2014, l’éditeur de « Beef ! » – Grüner & jahr – a lancé son pendant sur le marché français. Las, les hommes français n’ont pas l’air de « ticken » comme on dit ici, de la même manière qu’outre-Rhin. Car si la version française (deux fois moins chère) reprend le concept allemand, il semble que son côté « beauf » comme dirait Libération ou « pour les hommes qui en ont » passe moins. Devant faire face à des difficultés financières, elle semble tenter de s’assagir avec des titres comme « Par Toutatis » (!) faisant suite à « Embrochez-moi » ou des interviews gentillets de Frédéric Beigbeder.
Ouf. Car ce n’est pas qu’on n’aime pas les bavettes saignantes, ou les côtes de bœuf grillées. Au contraire. D’ailleurs, ce faisant, on a mieux compris certains de ses ascendants et/ou amis franco-français. Mais de là à être vulgaire… on préfère notre petit grill ou chasser les nains de jardin.
Ils sont risibles ces forcenés de la chair et du grill! Gardez-les à Cologne…