„S’ils veulent, on peut leur exporter quelques gilets jaunes !». Ça, c’était avant le début des grandes vacances à Paris et on avait bien ri ! Ah bien non ! Les Allemands n’en voulaient surtout pas : trop français, trop incontrôlés.
Vu d’outre-Rhin en effet, le mouvement des gilets jaunes avait, les mois d’hiver, surtout retenu l’attention de par sa violence explosive, les exactions commises dans la capitale par quelques infiltrés « blacks blocks » ou d’extrême droite les plus haineux et destructifs de symboles culturels ou de la propriété d’autrui.
Commerces saccagés, cafés et kiosques brûlés, Arc de Triomphe dévasté, 2410 radars détruits… les images de Paris et de l’hexagone en feu, les dommages de plus de 220 millions d’euros occasionnés avaient profondément choqué. Et coupé l’envie d’aller s’y promener.
« Mais si, ils peuvent venir ! », nous avait pourtant affirmé notre interlocuteur. « Mais ni le samedi, ni le dimanche ! Dans la semaine, il n’y a rien à craindre !».
Ah ces Français ! Leur incurable incapacité à négocier, trouver des compromis raisonnables pour les deux parties et les appliquer ! Non, il faut qu’ils protestent dans la rue! Merci!
La rue ou les urnes ?
Quelques mois plus tard cependant, et même si la rentrée à venir s’annonce chaude dans l’hexagone malgré un grand débat raillé, c’est au tour des Allemands de s’interroger sur le fonctionnement de leur démocratie.
Eux, ne protestent pas dans la rue, c’est clair. Cassent encore moins, car déjà, si vous traversez au rouge alors qu’il n’y a aucune voiture en vue, vous pouvez être sûr d’avoir droit à un regard noir et des remarques de désapprobation. Le contrôle social est partout. Alors s’agissant de la politique, vous pensez ! On ne va quand même pas se singulariser et dire tout haut ce que tout le monde garde par devers soi.
Protester, les Allemands le font dans les urnes uniquement. Et comment !
Ainsi, les deux élections régionales qui viennent d’avoir lieu le week-end dernier en Saxe et dans le Brandebourg ont confirmé si besoin en était encore, l’inexorable montée du parti d’extrême droite AfD à l’Est où les électeurs étaient, comme pour les législatives en 2017 et les Européennes, très mobilisés.
Avec respectivement plus de 27% et 23% des voix, l’AfD s’est en effet placé comme la deuxième force politique de ces « nouveaux Länder », juste derrière la CDU d’Angela et loin devant le SPP de « No Name » justement, le premier parti socialiste européen de l’histoire n’en finissant plus, comme en France, de poursuivre sa descente aux enfers entamée il y a deux ans.
Dans ce cadre, ce sont surtout les jeunes de moins de 24 ans ou « dans la force de l’âge », qui, comme dans les départements désolés de France, ont manifesté leur mécontentement en choisissant l’extrême droite. Avant même les Verts, en forte progression cependant. Les « vieux », personnes âgées de plus de soixante ans, étant devenues, à l’instar de l’électorat français, une sorte de bastion des partis traditionnels, évitant de peu le naufrage.
Surtout, à quelques mois du trentième anniversaire de la chute du mur, ces élections ont confirmé la spectaculaire fracture économique, sociale et maintenant culturelle/identitaire qui sépare les deux ex-Allemagne.
Ratée la réunification ?
Malheureusement, si ce n’est celle juridique, il semble que « oui », tant aujourd’hui plus qu’hier, tout semble opposer les « Ossis » des « Wessis ». Et ce, dans les deux sens.
Des causes de cette « brunisation » de l’ex-RDA, qui est à l’origine de l’envoi de 98 députés au Bundestag en 2017, on a déjà tout dit.
Malgré les milliards d’euros investis depuis trente ans, l’économie n’a en effet pas suivi et si aujourd’hui, le taux de chômage y a beaucoup baissé, les « nouveaux Länder » ont quand même perdu près de 3 millions d’habitants et continuent à en perdre. La peur du déclassement social fait fuir. A quoi sert en effet, de rester dans des « pays » où il n’y a pas d’avenir.
Et plus de passé.
Car c’est bien connu aussi, en « annexant » la RDA en 1989, sa grande sœur de l’Ouest n’a eu de cesse depuis de dénier, ignorer, abaisser, éliminer tout ce qu’il y avait pu avoir de « bon » sous le régime communiste pour le reléguer dans la catégorie méprisante de l’« Ostalgie ».
A ce que d’aucuns appellent une « décivilisation » (plus de travail, de valeurs, d’ordre social, de sécurité, de crèches, d’insignes et monuments… rien de ce qui a fait 40 ans d’histoire), s’est aussi ajoutée la « crise des immigrés », quand, en 2015, Angela Merkel, a ouvert généreusement la porte à plus de 1,5 millions de réfugiés venant des Balkans et du Moyen-Orient.
Non pas qu’en chiffres absolus, il y ait plus d’étrangers et demandeurs d’asile dans les « nouveaux Länders ». Au contraire. Tout au plus un petit 3,8% contre plus de 10% à l’Ouest.
Mais c’est l’évolution qui compte et la nouveauté qui frappe les esprits, car d’étrangers, sous le régime communiste, il n’y en avait pas.
- En Thuringe ? + 728% depuis 1991.
- Mecklembourg – Poméranie ? + 665%
- Saxe-Anhalt ? + 476% etc, etc…
Quand cela s’ajoute au reste, et que l’on se sent déjà depuis près de trente ans des citoyens de « seconde zone », cela fait paf. Et bien !
Malin et vicieux, l’AfD, qui à l’Est, notamment dans le Brandebourg et en Thuringe[1], est conduit par des hommes politiques tels que Andreas Kalbitz et Björn Höcke, bien connus pour leur fricotage intime avec le parti néo-nazi, fait campagne maintenant en pervertissant l’idée même de la révolution douce de 1989, dite aussi « Die Wende », le « Tournant ». Leur slogan ? « Wende_2.0 ».
Demain, pour eux en effet, il ne s’agirait rien moins que d’accomplir ce « tournant », en faisant, pourquoi pas, sécession d’avec l’ancienne RFA et en basculant, SVP, dans un régime raciste et populiste assumé. « Nous sommes le peuple »… détourné à la sauce brune.
Le comble dans l’ancien pays des « camarades antifascistes », où les méchants nazis étaient « ceux d’en face », les capitalistes. D’ailleurs, « chez nous », entendez à l’est de la ligne Oder-Neiss, ils n’avaient bien sûr jamais existé.
Du grand art manipulatoire, la sublimation en quelque sorte de ce que Didier Eribon, sociologue français, a très bien décrit il y a quelques années déjà dans « Retour à Reims » sur le basculement de la classe ouvrière vers le lepénisme.
Vive l’isoloir.
Bouh là là. En 1933, quand Hitler accéda au pouvoir, il n’avait obtenu que 32% des voix.
On en rit jaune cette fois.
Car voilà la « question allemande » de retour. Une « question » qui n’en finit pas d’être posée. Une histoire qui ne veut pas être digérée.
Le week-end prochain, je crois que je vais descendre sur Paris. Ah oui, mais non, c’est vrai. Pas le samedi, ni le dimanche, mais dans la semaine je voulais dire.
Quoi que, finalement, c’est pas mal non plus. La rue.
On sait du moins à quoi s’en tenir. Et pas que tous les quatre ans.
[1] Elections à venir fin octobre
Excellent cet article chère Valérie, merci de continuer à nous éclairer
Bises
Sophie
Chère Sophie, merci…. j’aimerais en faire plus mais… pas poss!!!!!