Prosper ade!

Etait-ce une coïncidence ? Il y a quinze jours, un samedi, nous étions dans la Ruhr, au nord-est de Cologne et Düsseldorf, pour rendre visite à une connaissance. Et « visiter » nos morts comme on dit. Pas de quoi en théorie, piquer un gros coup de déprime. Les vivants sont vivants. Dieu soit loué. Et les « morts » sont en paix.

Il faisait beau, le soleil brillait, le ciel était azur, et nous réjouissions de nous retrouver dans le jardin clôt et parfaitement enchanté de notre amie. Par la presse, on avait bien enregistré que le « count down » s’accélérait s’agissant de la fermeture d’une des deux dernières mines d’Allemagne. Dans six mois effectivement, cela en serait fait de « Prosper Haniel », le tout dernier puits en activité de cette Lorraine allemande, quand la « mine » depuis plus de 400 ans, et à vitesse grand V avec l’industrialisation de la fin du XIXème siècle, a marqué le territoire de la Ruhr, sa population, son histoire et son identité profonde.

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Depuis 1860, ce sont ainsi plus de 300 millions de tonnes de charbon qui ont été extraites des quelques 300 puits qu’a compté un jour le « Pot » comme on appelle là-bas affectueusement la région. Mais depuis longtemps, Kohl à vrai dire (Helmut, pas le charbon) il a été décidé qu’un jour, l’Etat fédéral cesserait de subventionner cette activité historique, certes, mais qui coûte bien plus cher que le charbon chinois.

Sur les ondes et dans les journaux cependant, cette fermeture donnait plutôt lieu à un feu d’artifice de reportages en tout genre, de compte rendu des « events » programmés à cet effet dans plus de 22 villes et 55 lieux de mémoire. Ambiance nostalgie mais aussi festive. Pour rendre hommage à cette région nourricière de l’Allemagne. Sans qui, aucune autre industrie, la puissance allemande en somme (Krupp, Thyssen, Bayer & Co) n’aurait jamais existé. Et n’existerait toujours pas, sachant que l’électricité en Allemagne… c’est encore le charbon.

Et pour contrer le sort.

Le sort, n’a pas été vaincu cependant. La fermeture de ce dernier puits, qui cette année encore emploie 2000 personnes, dont certains descendent, jour après jour, à moins mille mètres de profondeur et par 40° de chaleur ambiante, marque en effet non pas la fin d’une histoire. Mais une étape, qui, malheureusement, ressemble à celle d’une lente descente aux enfers, du moins vers une désolation certaine qui pour l’heure ne semble pas encore avoir de fin. Au contraire.

Quand nous arrivons, il n’est que 14 heures, mais dans la rue principale de cette petite ville, que nous avons connue, oui, animée et vivante à sa manière, tous les magasins, oui, tous les magasins sont absolument fermés.

Certes, nous sommes en Allemagne, et il est encore courant qu’en dehors des centres-villes, ou de la « vieille ville », effectivement, les boutiques ferment tôt le week-end, mais à cette échelle là et ici, c’est du jamais vu. Fantômatique.

On se croirait dans un village perdu de France ou d’Italie, en plein midi et canicule, quand même de rares chats hâves n’osent pas sortir de leur abri ombragé.

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Mais nous sommes dans un arrondissement de 9 000 habitants et une ville de près de 120 000 habitants !!!! Qu’est-ce qui se passe ?

La visite du cimetière produit le même choc. La même hébétude. Certes, nous n’y sommes pas venus depuis longtemps, mais… où sont-ils donc tous passés ? Dans notre allée, et celles d’à côté, la moitié des pierres tombales ont disparu. Ici, c’est clair, il n’y a pas de concessions à perpétuité, mais pourquoi cette hécatombe subite ? Toutes les travées sont clairsemées maintenant, et ce n’est pas demain la veille qu’elles seront ré-habitées, car… les emplacements coûtent tout simplement trop chers pour… ceux qui restent dans ce pays en mal de reconversion.

Et la voilà la Ruhr qui me saute à la figure. La génération de la guerre, celle des reconstructeurs de l’après-guerre, des « trente glorieuses » allemandes, celle qui retroussait ses manches, fermait les yeux, ne se posait pas trop de questions (il fallait survivre après la catastrophe) s’en est allée.

Et les enfants de cette classe moyenne glorieuse des années 80 et 90, sont partis aussi. Trop moche, trop sale, trop étroit, trop « prol ». D’où l’abandon des tombes.

Ne reste plus que les « encore vieux mais pas morts » (35% de la population) et les « immigrés », entendez en Allemagne, tout ceux qui sont là pour partie depuis des générations, mais qui en vertu du droit du sol, restent « étrangers » et représentent dans la Ruhr 25% de la population (polonais, turcs et syriens). Dans la Ruhr, ils sont cependant bien « allemands » les polonais et turcs. Et c’est tout le charme de la mixité sociale de ce paysage que de « produire » des gens tolérants, pragmatiques, pas pimbêches mais généreux, car « on sait ce que c’est de devoir travailler ».

Mais « bonne » (mauvaise) nouvelle : d’ici 2030, la population totale aura diminué de 10%, le taux de mortalité étant le double de celui de la natalité.

Il y a encore 100 ans, c’était totalement l’inverse. La population doublant régulièrement en l’espace de 20 ans.

Il est tard, je dois rentrer. Mais le RER ne fonctionne pas aujourd’hui.

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Il faut attendre un bus. Qui me conduira à une gare centrale de bus en « centre-ville ». Où je pourrais prendre un autre bus. Pour rejoindre une gare qui fonctionne. Et retourner à Cologne.

A la gare centrale de bus en « centre-ville », je suis prise d’un accès de déprime.

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Personne en vue. Sauf des personnes très âgées et des pauvres, pour certains très éméchés. Même le Mac Do est fermé. Prosper ade.

 

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Milou en mai

On s’était décidée de partir à Paris la semaine d’avant sur un coup de tête. Pour prendre le large et respirer. Au téléphone, notre correspondante nous avait pourtant dit : « Mais il y a les grèves. Cette semaine, les camionneurs s’y sont mis aussi et les rayons des supérettes sont vides, les marchés ont été annulés ! ». Qu’à cela ne tienne, le besoin étant vital, ce n’était pas les grèves qui allaient nous arrêter et encore moins la SNCF. Nous voilà donc partie. Arrêt en ce lundi 7 mai 2018 sur un pays de cocagne.

Acte 1, vendredi : la SNCF donc

Effectivement, et les français le savent (!) celle-ci fait grève. Perlée la maline. Deux jours sur cinq, jours fériés inclus. C’est très efficace. Impossible à la date souhaitée de QUITTER l’Allemagne et d’ENTRER en France ! L’hexagone semble être un pays aux portes fermées, ce qui à l’heure d’Internet & Co, de l’Euro et je ne sais quoi encore, ne manque pas d’originalité. Quelque peu surréaliste sans compter qu’Air France aussi est de la partie. Heureusement, il y a encore blablacar pour éventuellement palabrer sur la situation et franchir allègrement les frontières.

Sur l’autoroute de l’Est, absolument vide la nuit, en pleine Meurthe et Meuse où défilent les souvenirs de 14-18, sa voie sacrée et le « ils ne passeront pas » de Verdun (si!), des panneaux lumineux nous rappellent à kilomètres espacés : « grèveco-voit.jpgs : pensez covoiturage ». Ah bein, c’est gentil de penser à nous et de nous refiler le truc surtout quand on sait que la SNCF est majoritaire dans le capital de… blablacar. Il parait même qu’en compensation des trains annulés, elle octroie des bons d’achat sur de ladite plateforme. En France on est solidaire il ne faut pas l’oublier.

Sur la banquette arrière, deux jeunes américaines lisent, somnolent et, à l’approche de Paris se réjouissent de plus en plus de cette folle aventure : « It’s so french » !

Acte 2, samedi : les manifs

Toujours insouciante et mal informée, on a donné RDV à une amie vers 15 h 30 Place des Vosges. Celle-ci cependant, ne cesse de nous envoyer des sms.

« Mais il faut que je regarde s’il y a des RER » (ah oui, c’est vrai). « Mais il y a la fête à Macron » (ah oui, c’est…). « Mais ils défilent de l’Opéra à Bastille » (ah oui…). « La place des Vosges, ce n’est peut-être pas une bonne idée » (ah…)

Va pour Beaubourg.

Pour notre part, comme on l’a prévu et que rien ne nous en détournera, on descend quand même à Bastille.

Rien à signaler.

Il fait un temps magnifique et les parisiens, décontractés, sont en goguette. Le boulevard Beaumarchais et la rue de Bretagne fourmillent de monde. Le soleil chauffe, voire tape et les terrasses sont toutes emplies de personnes débonnaires qui profitent de cette arrivée impromptue de l’été en savourant croque et vin blanc. Soudain, à l’approche de la rue Réaumur, un barrage policier.

Oh là là. Ils semblent avoir sorti l’artillerie lourde. CRS en veux-tu en voilà. Casques, boucliers au poing, matraques à la hanche. A ma droite, une rue qui mène

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dans le Marais a été bouclée par des panneaux mobiles en fer de 2 mètres de haut. Ça n’a pas l’air de rigoler.

Dans la rue Réaumur, quelques manifestants défilent sur fond de

« Stop Macron »; « Non à la casse sociale »

Sur un « char » et à travers un mégaphone, quelques enragés scandent sur un rythme ternaire :

Melanchon

A la place

De Macron.

En voilà une idée ! Jean-Luc à la tête de la 5ème puissance mondiale cela ferait redémarrer les exportations, c’est sûr. Manque à gagner depuis un mois déjà : dans les 4 milliards d’euros. Pas de quoi fouetter un chat, surtout quand c’est prévu de part et d’autre pour durer jusqu’à fin juin minimum…

D’ailleurs, tout cela reste très épars et bon enfant.

Pas de black blocks en vue, mais des… CRS. Beaucoup. Lunettes noires et visages fermés.

Plus j’avance à rebours rue Réaumur, plus je confirme qu’ils ont entièrement bouclé, grillagé le Marais. La foule de manifestants, elle, grossit aussi, pour atteindre, selon les organisateurs, 40 000 participants. Bientôt arrive la CGT. Drapeau au vent. Vais-je aussi entendre l’Internationale ?

Peu importe, dans les rues adjacentes, d’autres parisiens continuent, comme si de rien n’était, à savourer le soleil et leur déjeuner à des terrasses de cafés.

Un CRS posté souffle à son voisin : « on ne va pas peut être pas s’exciter pour rien ».

Macron quoi qu’il en soit, est en nouvelle Calédonie.

Acte 3, dimanche : comme un dimanche

Ce matin, Paris s’est éveillé pas du tout sonné.

La veille, on avait bien repéré quelques cageots abandonnés sur un bord de trottoir. Mais cela n’était qu’un évènement fortuit.

Ce matin, à l’aube, les éboueurs sont bien passés et ont même vidé les poubelles publiques.

Les boulangers ont boulangé.

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Les cafés ont lavé leurs glaces.

Les kiosquiers étalé leurs journaux.

De chienlit, pas de lie.

Seule la radio égrène les catastrophes en cours ou à venir. Côte de confiance du chef d’état, point sur la guerre d’usure engagée avec les syndicats, le calendrier des grèves diverses, prochains rdv sociaux…

Au métro Charonne, sous la plaque commémorative du 8 février 62 et à cinquante mètres de la Belle équipe, les terrasses sont de nouveau remplies. Pour le petit déjeuner cette fois.

Même nonchalance quelques heures plus tard aux abords de la bibliothèque F. Mitterrand où seuls de nombreux étudiants paraissent vouloir rester actifs tandis la plupart de leurs concitoyens farnientent au soleil.

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Les banlieusards sont restés chez eux semble-t-il et se reposent, bien que les trains roulent aujourd’hui dimanche.

Ils ont de la chance d’ailleurs, car demain lundi ils rouleront aussi. Mais pas mardi, ni mercredi, mais jeudi oui.  Qu’est-ce que cela peut bien faire pour finir, sachant que mardi et jeudi sont des jours fériés. Tant qu’il fait beau, autant pêcher des écrevisses.

Sûr que cela ne laissera pas d’étonner les étrangers. Mais que voulez-vous. Le mauvais temps reviendra bien assez vite. Lundi en huit ?