Pour qui a eu des enfants outre-Rhin, impossible de ne pas connaître les mini-livres de cinq centimètres sur cinq, dits du nom d’un de leur éditeur « Pixi Bücher » et dont une série s’appelle « Ich habe einen Freund, der ist…. ». Comprenez, « J’ai un ami, il est… médecin ! » ou « vétérinaire ! » ou « pompier ! » ou « éboueur! ». .. Ces mini-livres, font en effet longtemps la joie des tout petits et des plus grands, tant ils permettent de découvrir des aspects très pratiques, concrets et socialement extrêmement positifs de multiples métiers. Ainsi que des mots incroyables à rallonge comme seuls sont capables d’en produire les allemands. Exemple : «Rindfleischetikettierungsüberwachungsaufgabenübertragungsgesetz» (laissez tomber).
Et bien moi, j’ai un ami à Francfort qui est concierge et turc. Et c’est vraiment mon ami.
L’autre jour, je fumais à ma fenêtre, chassant de temps en temps et de l’autre main une des palmes d’un arbuste qui s’épanouit toujours plus depuis des mois et commence à obstruer dangereusement ma vue même si j’adore l’arc d’un vert translucide qu’il dessine à mon horizon. Je l’aime bien mon « palmier » (de la glycine il semble). Mais quand même, il est de plus en plus envahissant. Très envahissant.
Que faire sachant qu’en Allemagne il est absolument interdit de toucher à un arbre, que dis-je une branche, que dis-je une feuille, sans quoi vous risquez d’avoir tout le voisinage, le quartier, le « Ordnungsamt », les pompiers et pour finir la police sur le dos ? Qu’importe si durant une tempête, les arbres jamais élagués font trois morts dans la même rue en moins d’une minute, l’essentiel étant qu’ils restent dans leur état de pure nature.
C’est absurde naturellement, mais l’alternative c’est ça, et là, il n’y a rien à faire :
Bon.
La semaine précédente, les feuilles commençant à jaunir MAIS étant à portée de la main, on avait donc testé en douce et dans la pure clandestinité, leur résistance à la pression du pouce. AUCUNE. Très bien, nous étions-nous dit. Dans huit jours, on avait l’intention de vérifier, toujours dans la plus pure discrétion, la pression du pouce sur la BRANCHE.
Pas eu le temps.
Alors que je fumais, mon concierge, turc, est apparu avec son balai. Echanges de politesses. On se comprend. On est étranger. De fait, on a parlé essentiellement « cigarettes ». Comme quoi c’était mauvais pour la santé (clair). Et puis, de but en blanc, il m’a dit : « elle vous gêne la glycine ? ». J’ai répondu : « non, elle est très jolie, mais elle s’épanouit rapidement ces derniers temps et prend de plus en plus de place. Je crois qu’il faudrait (conditionnel) couper une ou deux branches ».
En moins de deux, c’était fait.
Je n’avais pas eu le temps d’aspirer une dernière bouffée, que le balai de mon concierge avait effectué son grand œuvre. Plus de branche tertiaire, secondaire ou primaire. « Alles weg ».
Du côté de mon mur mitoyen, il ne restait plus rien. STRICTEMENT RIEN.
« Il faut qu’elle pousse chez le voisin » conclut alors mon ami, en rabaissant son balai. Concierge, turc, à Francfort.