Bourgogne : « Bein, moi, je vais voter Marine ! »

En ce matin du dimanche 22 mars 2015, dans un village du nord de la Bourgogne comme partout ailleurs en France, le retour du printemps que l’on croyait acquis depuis une semaine déjà, n’est plus d’actualité.

Pourtant, du bout de leurs tiges drues et pleines de vitalité, les jonquilles sont écloses et vous toisent de toute leur splendeur jaune dorée. Mais le ciel est gris, brumeux, il fait froid et l’on frissonne en remettant une bûche dans la cheminée.

Sur la table du petit déjeuner, notre hôte du jour, déploie autour de son bol de café fumant, les 3 tracts officiels des élections départementales pour lesquelles les bureaux de vote viennent d’ouvrir.

« Bein, moi, dit-il d’un ton bravache, je vais voter Marine ».

Et vlan pour – ou plutôt contre – les élites du cru, les petites bisbilles personnelles entre ces messieurs dames, les taxes diverses qui ont encore augmenté, Hollande qui est vraiment trop nul, Sarko que ce n’est pas mieux, la vieillesse et ses misères…

La sortie, tout en défi, n’est pas censée prêter à discussion, mais on rétorque un ferme : « tu sais ce que j’en pense : rien de bon. Et puis, ce n’est pas malin. Imagine toi que tout le monde fasse comme toi ? Vous allez être bien après en France ».

Évidemment tout le monde a fait comme lui.

http://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne/2015/03/09/departementales-2015-dans-l-yonne-le-canton-de-pont-sur-yonne-est-dans-la-ligne-de-mire-du-fn-671187.html

En Bourgogne tout du moins et dans l’Yonne en particulier où le FN est arrivé avec 25,18% des voix derrière l’UDI (29,5%) et devant le PS (20%), raflant 4 cantons dès le premier tour et se qualifiant quoi qu’il en soit dans 19 sur les 21existant. Du jamais vu dans ce département de tout temps anticlérical, rad-soc, PS ou gentiment de droite « républicaine ». Après le Sud-Est, le FN s’étend bien progressivement dans tout le Nord-Est de la France et, en sus, la Normandie, soit en pleine ruralité.

Comme toujours, il suffit de traverser le dit village pour savoir pourquoi.

Non pas qu’il soit miséreux. Passés de 60 à 8 en quelques décennies, les agriculteurs ont des exploitations remembrées d’une certaine taille/taille certaine. A une heure de Paris en train, le bourg à même réussi à voire sa population augmenter de navetteurs ces dernières années. Mais pour autant on vit chichement (loyer, essence…), acrobatiquement (suivant les variations du cours du blé) et avec beaucoup moins de gaieté.

Les commerces ont foutu le camp, le Crédit agricole et son distributeur a plié bagage, les services publics n’assurent plus que de rares permanences. Rien que du classique. Pour les petits pois en boîte, c’est 20 kms aller/retour quoi.

Et de fait.

Bien qu’il soit une heure avancée de la matinée, mais pas encore midi, soit l’heure de déjeuner, les rues sont effectivement absolument désertes. De part et d’autre, des enfilades de maisons fermées ou « à vendre ».

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Plus un chien qui n’aboie à votre passage. Pas de poules en vue, certainement pas de coq (leurs cris gênent maintenant), quant aux vaches, cela fait longtemps qu’elles ont disparu.

Seuls restent quelques chats qui, recroquevillés sur des murets, vous regardent passer.

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On prend le virage du « Café français », qui avec la boulangerie, ouverte à mi-temps maintenant- et la pharmacie, résiste comme dernier commerce du village. Aucun rassemblement devant ses portes, pas un client. Même l’Eglise se tait. Elle ne doit pas être « de service » cette semaine.

Dans ce contexte, pas étonnant que les édiles du FN fassent fureur. En caressant dans le sens du poil avec leurs tracts dont voici quelques extraits :

« Hausse de la pauvreté, du chômage, du coût de la vie, de l’insécurité : nos territoires ruraux, qui représentent quatre cinquièmes de notre pays, souffrent en silence, oubliés par nos élites !

Moins de gendarmerie, c’est plus de violence et de délinquance !

Le massacre de l’emploi et des services publics de proximité transforme nos villages en dortoirs, en villégiatures pour riches citadins ou en déserts !*

En répartissant le poids de l’immigration dans les territoires ruraux déjà lourdement touchés par le chômage, le gouvernement préfère disséminer les problèmes plutôt que des les résoudre ! »

Crédioux !

En voilà un discours à vous mobiliser !

D’ailleurs, si vous regardez bien la photo ci-dessous, derrière un fourré, vous trouverez bien un immigré clandestin ou un petit criminel faisant du vol à la tire de…..panier de champignons.

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Peu importe. Cela fonctionne. Comme l’histoire des arroseurs arrosés malheureusement.

* « Rendez-nous nos coqs », ndlr

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On peut rire de tout mais pas avec tout le monde (fin).

Trois mois après les attentats contre Charlie Hebdo qui ont fait douze morts à Paris sans compter les victimes de Montrouge et de la Porte de Vincennes, outre-Rhin aussi on continue à se déchirer en public sur le « principe de conviction » et le « principe de responsabilité ». En clair, peut-on tout dire (dans le respect des droits de la liberté de la presse naturellement), tout dessiner et tout publier en vertu de ce que sa conscience / raison estime juste. Ou doit-on sans cesse se demander si tel dessin, jeu de mots et je ne sais quoi encore, en « risquant » d’offenser certaines catégories de la population, ne va pas autoriser des poseurs de bombes potentiels à passer aux actes, en tous les cas allumer un feu social qu’il sera difficile d’éteindre par la suite ?

Mi février dernier, les carnavals de Cologne et de Düsseldorf avaient ainsi répondu de manière opposée à la question. Timorée ici – la capitale rhénane du carnaval annulant son char « Charlie » au dernier moment – engagée là – sa concurrente du nord, n’hésitant pas à le faire défiler.

Les carnavals de Cologne et Düsseldorf

Ce week-end, la « petite » ville de Hanau, non loin de Francfort sur le Main, a aussi répondu « oui » en ouvrant une exposition consacrée aux dessinateurs Achim Greser et Heribert Lenz. Intitulée « C’est une blague, non ? » elle présente 220 de leurs œuvres, dont pas plus de quinze traitent de la religion mais dont une, dessinée juste après les attentats parisiens a déjà fait couler beaucoup d’encre en Allemagne (et assuré la communication de l’expo J). On y voit Jésus et Mahomet tous deux plongés dans la lecture de feuilles satiriques, Jésus disant à son comparse : « M. je n’arrive pas à y croire. A cause de tes idiots, on doit maintenant renoncer à ces formidables plaisanteries sur nous ».

A. Greser et H. Lenz

Courage? Blasphème, provocation, irresponsabilité? Ou beaucoup de bruit pour pas grand chose en définitive ?

Il est encore trop tôt aujourd’hui pour évaluer où demain les acteurs de la culture, les journaux et publicistes en tous genres traceront leur propre ligne d’auto-censure, mais comme le résumait au mieux dans Le Monde du 16 février dernier Patrick Chappatte, dessinateur suisse travaillant de Los Angeles pour des journaux américains et européens, il est clair « qu’une innocence a été perdue pour toujours ». Et que dans notre monde globalisé où tout peut être vu et lu partout en tout instant, l’adage de feu Pierre Desproges prend tout son sens. Oui, « On peut rire de tout mais pas avec tout le monde ».

Question de culture.

Ou de manière de dire ? Si, comme moi et jusqu’il y a peu, vous ne connaissiez pas Patrick Chapatte, ici, le lien sur sa page facebook et quelques uns de ses dessins à l’humour subtil qui dénoncent sans provoquer ?

La page facebook de P. Chapatte

PS : pour ceux qui n’auraient pas compris, il va sans dire que nous ne confondons pas les gens de EI avec les musulmans.