Prendre le train régulièrement sur une ligne TGV essentiellement réservée aux cadres et hommes d’affaires est souvent très instructif. En Allemagne, comme en France certainement.
Si vous ne disposez pas de « protections auditives » (Ohropax en Allemand, nom de la marque, ou « boules Quiès en français, oui, mais s’il vous plait pas en cire), il y a de fortes chances à parier pour que vous puissiez assister contre votre volonté à quelques scènes croustillantes comme :
- tout savoir sur le chiffre d’affaire d’une entreprise lambda, les contrats acquis, ceux perdus et leurs montants. Le bénéfice en fin d’année, le rendement, le cash flow, le montant des investissements et l’avenir en perspective (difficile il va de soit. Il va falloir se battre, bref retrousser ses manches de chemises… Allons enfants, debout hommes de la patrie…).
- Mieux : tout savoir sur ce que vient de dire tel cadre en costume sombre, cravate et chaussures cirées noires à sa secrétaire, une femme naturellement, fée du clavier et de la machine à café. Merci Germaine.
- Mieux du mieux : tout savoir sur la névrose d’un collègue, et son nom (on peut l’appeler ?), qui ne répond jamais à ces mails (on peut avoir son adresse ?) vient d’essayer de vous piquer votre projet, cajole la direction de sa fourbe attitude, et est naturellement détesté de par tous ses collègues, qui jalousent son arrogance, sa totale duplicité mais le degré zéro de ses compétences pratiques.
Rassurant : parfois les dits cadres jouent au foot sur leur tablette dernier cri. I Pad de préférence.

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Plus effrayante, la scène suivante.
Nous sommes un vendredi soir. La ligne Francfort-Cologne est comme il se doit un tel jour et à une telle heure archi bondée.
On se rend dans le wagon restaurant espérant y trouver une place « non réservée » par définition. Archi bondé.
Reste le bar.
A une table bistrot, un homme, seul. Chouette de la place ! On va pouvoir boire un café et tenter de corriger quelques copies. Sur le pouce. Debout.
On s’approche. Commande le café. Tente de se faire une petite place. Difficile.
L’homme, reste campé sur « sa table », les coudes bien plantés de chaque côté, le tout « protégeant une bière », qu’il semble contempler, en pleine méditation
Le café arrive. Pas de réaction de la part de notre co-voyageur.
On essaie toujours de corriger des copies et de boire son café, mais l’espace est réduit….
On persiste. Il va quand même bien finir par remarquer notre présence, rabattre ses coudes, les resserrer autour de sa bière…
Que nenni. Il est là, il y reste. C’est « sa » table, « son » territoire, depuis tout petit, on lui a appris à défendre ses intérêts, son « moi », ses droits (le premier arrivé, c’est celui qui gagne…).
On continue dans la provocation gentille, mais ferme.
Pas de réaction.
Au bout de ¾ d’heures, l’homme se penche sur sa mallette de travail et en sort un livre.
C’est un condensé de la bible. Avec des marque pages.
Il lit quelques versets, l’air inspiré, les coudes toujours à l’équerre, protégeant sa bière.
D’accord.
Celui-là, il est inguérissable.
On commence le plan retraite. Son « prochain » doit être caché à la page 300 678
Quelques minutes plus tard, son téléphone portable sonne.
Ce sont les cloches d’une église le jour de Pâques. Le christ est ressuscité, Alléluia.
Je range mes copies dans mon cartable et détourne ostensiblement la tête.
C’est comment sur le trajet Paris -Tours, Paris-Grenoble ?