Dimanche dernier à Cologne. Profitant d’une journée clémente, nous nous promenons à travers la ville et atterrissons sans l’avoir prévu du côté de Eigelstein, en pleine course cycliste.
Situé juste à côté de la Cathédrale (et de la gare), entre les anciennes enceintes romaines et celles du Moyen-Age, Eigelstein est un de plus vieux quartier de Cologne. Un temps « fermé » pour cause de prostitution dans les années 60, depuis trois décennies appelé « la petite Istambul » en vertu de sa population turque, « Eigelstein » a pour autant gardé son côté très populaire « typiquement colonais », pour ne pas dire allemand.
Assis à la terrasse d’un café bondé, et alors que nous attendons depuis un quart d’heure notre commande, une femme poussant devant elle un landau, nous demande si elle peut prendre place à notre table. En Allemagne, ceci est de coutume et bien sûr nous disons oui.
Elle commande un Coca et un café liégeois à une serveuse de passage et complètement débordée.
Aussitôt la conversation s’engage.
« Ma fille m’a refilé la p’tite parce qu’ils sont en plein déménagement. Je n’ai pas eu mon mot à dire, elle me la mise dans les bras et m’a dit, promène-la ! ». On s’imagine la scène.
Difficile cependant de donner un âge précis à cette Grand-mère. De taille moyenne et de saine corpulence, ses cheveux noir corbeau sont montés en un chignon crêpé dans les règles de l’art. Mangé par de larges lunettes de soleil à la Dolce & Gabbana, son visage suggère un généreux usage de fond de teint ou de studio de bronzage.
Dans la poussette, la petite commence à pleurnicher. Sa Grand-mère lui prépare vite un biberon de lait, la prend avec précaution dans ses bras et lui donne à manger. Ce qui semble être un nouveau né, tête goulument.
« Doucement ma petite, doucement. Tu avales toujours trop vite et après tu recraches tout ».
La minuscule n’en a cure, déglutit sans reprendre sa respiration et effectivement après quelques lampées, s’étrangle…
« Tu vois, je te l’avais bien dit », lui parle sa Grand-mère en lui essuyant d’un seul geste, les lèvres, le menton et – tant qu’on y est – tout le visage.
« Elle a quel âge ? »
« Sept semaines… Ma fille est en train… »
La serveuse arrive enfin avec nos boissons.
Ma GM lui commande pour la deuxième fois son Coca et son Café liégeois.
« Dites-donc, vous ne trouvez pas qu’on attend longtemps dans ce café ? ça fait dix minutes que je suis là avec la petite et je n’ai toujours pas eu ma commande ».
« Ils sont débordés ».
La petite a fini de manger et sa grand-mère tente de la calmer en la mettant sur son épaule et en lui tapotant dans le dos.
Quelqu’un passe sur notre trottoir et la salue par son prénom.
Peu après, un homme, venant du bar PMU d’en face, traverse la rue et vient aussi à sa rencontre. Elle semble connaître tout le quartier.
« Salut Christian, ma fille est en train… ».
Le Coca arrive sans le Café Liégeois. Elle repasse sa commande à une autre serveuse et rajoute un autre Coca sur sa liste. La serveuse est en pleine confusion.
Quelques instants plus tard, un adolescent, qui s’avère être aussi son petit fils, la rejoint à sa table, une liste de pari pour les matchs de foot en cours à la main.
« Tu veux un Coca ? ça fait dix minutes… »
La petite de 7 semaines, elle, s’est endormie, confortablement installée sous une petite couverture entre les deux seins généreux de sa grand-mère. Celle-ci regarde à intervalle régulier si tout va bien.
Le Café liégeois n’arrive toujours pas. Légèrement excédée, ma voisine commence à me parler de son dernier week-end, où, à Dellbruck, un autre quartier éminemment populaire de Cologne, il y avait une fête de rue à laquelle elle s’est rendue. Et qui n’a pas plus été un succès.
« Ach es war auch voll. Ich hatte so einen dicken Kopf ! »
Comprenez, elle avait trop bu, mais pas du Coca.